Alors que le fils aîné rentre d’Espagne, une famille de Buenos Aires vit ses dernières heures de fausse sérénité, découvrant la passion sexuellement dévastatrice qu’entretiennent un frère et sa soeur. Ou comment la réalisatrice Albertina Carri fait la nique aux bourgeois et les ravit dans le même temps dans la grande tradition des règlements de compte en famille, genre complaisant s’il en est. Drôle de tiédeur en effet, dans ce Gémeaux : un mélange de fine roublardise et de magnificence visuelle, une envie de se retrancher dans l’observation malicieuse qui cède le pas sur une empathie quasi-inconsciente, comme ça, l’air de rien, par petites trouées opportunistes. Opportuniste, car ces volte-face se font clairement remarquer et complexifient officiellement la manne du film, ni franchement dans l’effroi ni dans la fascination. On aurait alors tendance à clore le dossier par la sentence définitive du syndrome de décadence à la petite semaine qui ronge ce type de cinéma bourgeois.
Sauf qu’ici, le côté petit malin d’Albertina Carri est suffisamment omniprésent pour que le film séduise sans trop agacer. Il y a là l’application d’un parasite chez cette cinéaste au parcours atypique (un court-métrage culte d’animation porno à son actif) qui se complait à grignoter les fondations des drames upperclass, tout en veillant à conserver assez de matière pour que son édifice s’ébranle mais ne s’effondre pas. D’où une fragilité constante entre superficialité du dispositif et insolence glacée, qui prend en charge la tension du film, l’enjeu narratif et son lot de grandes scènes troublantes étant désamorcées dès l’entame. Carri risque toujours le trop-plein : typage sociologique, digressions complaisantes, surmusclage des motifs familiaux de l’inceste, beauté voluptueuse du cadre qui magnifie la condescendance de classe, quelle que soit l’ironie qui l’accompagne.
Tout cela fonctionne à peu près jusqu’au final, sorte de résurgence du surmoi 100 % bourgeois du film, qui voit la mère, matrone blondasse sur-étouffante, découvrir le pot aux roses. Hystérie et pleurs en pagaille, étreintes violentes, brouillonnage facile des corps, hurlements dans les couloirs saisis par une caméra à l’épaule trop précise pour la jouer sur le vif, Carri prend le grand-guignol au sérieux. Cruel passage de relais : d’une cinéaste toute-puissante qui titille sans cesse sa matière, celle-ci l’aspire et la digère en un rien de temps. Au spectateur de ricaner goulûment.