Il n’aura fallu que quelques heures à un vieillard sénile se déplaçant en fauteuil roulant pour retrouver toute sa forme et fouler le sol de son pays aidé d’une simple canne. Un véritable miracle médical mais c’est à un autre type de miracle que l’on aurait aimé assister : le procès de Pinochet, la fin de l’impunité dont bénéficient les bourreaux latino-américains. Pas encore pour cette fois hélas, mais continuons d’espérer… Heureusement des cinéastes nous permettent de ne pas oublier cette période particulièrement noire d’un continent où la torture était pratiquée systématiquement au nom de la menace rouge.
Garage Olimpo est un de ces lieux tristement célèbres où l’armée argentine détenait et torturait les opposants au régime. Un pamphlet en forme de bilan historico-politique aurait donné bonne conscience au spectateur mais Marco Bechis refuse cette solution de facilité. Il opte pour une analyse clinique, un document brut sur les mécanismes qui conduisent des individus à se comporter en véritables bureaucrates de l’horreur. En résulte un film sobre, déchirant, qui place constamment son thème central, la torture, hors champ. Un à un, les rouages d’un système sont mis à nu. Arrêtée par l’armée, Maria en sera l’une des victimes. Son tortionnaire n’est autre que Félix, l’un des locataires de sa mère, elle fera tout pour s’en sortir mais l’implacable logique de la dictature n’accepte aucun survivant. Pendant que Maria subit la torture, dehors la vie continue. Cependant, les plans aériens de Buenos Aires sont légèrement tremblés ; il est impossible de filmer cette Argentine, elle n’existe pas, la réalité se trouve ailleurs dans les sous-sols de la capitale, là où l’armée torture, supplicie. Cohabitent deux pays et deux manières de filmer ; la fiction et son attirail d’artificialité appréhendent une Argentine qui ne veut ni voir, ni savoir, tandis que les techniques documentaires radiographient la réalité du centre de torture. Garage Olimpo est un superbe film bicéphale sans cesse balancé entre l’aveuglement irresponsable d’une société et la terrible obstination de tortionnaires obéissants à un Etat qui programmait la mort des individus. Le film s’achève de manière poignante ; un avion dans le ciel suivi d’un plan sur la mer, un encart nous informe que l’armée argentine se débarrassait des opposants en les jetant vivants dans l’eau.