Après le sublime Monde de Nemo des studios Pixar, voici son inévitable version bis par Dreamworks : Gang de requins ne prend même pas le temps de dissimuler sa vacuité par quelques volutes scénaristiques. 100 minutes, pas une de plus, pour se noyer pour de bon : une intrigue rachitique (un jeune requin végétarien se lie d’amitié avec le petit poisson-clown lâche et couard qu’il avait pour mission de dévorer), traitement inexistant de l’élément aquatique dans lequel le film est sensé se dérouler (une ville à la Metropolis sur fond bleu, point), personnages insipides et creux (Will Smith = rappeur, De Niro = Parrain). Ainsi harnaché, le film commence. En route pour le cauchemar…
Visuellement hideux, l’ensemble progresse avec une mollesse qui pourrait servir de base à n’importe quel épisode de 26 minutes destiné au tout-venant des Télétubbies. De long clips R&B remplissent les temps morts, les dialogues s’étalent, les personnages n’existent à aucun moment, sinon par leur laideur et leur petitesse (le personnage obscène de poisson-bimbo avide de pouvoir). Gangs de requins, en transformant le monde de l’enfance en bad trip djeunz et putassier, microcosme étroit du monde organisé des adultes, rejoint une « constellation de l’enfance moche » déjà riche en morceaux de choix, de l’abominable série des Spy kids au récent Garfield, en passant par le phénoménal Sale môme, condensé hallucinant de toutes les clés du genre. On les retrouve une à une ici : humanisme souffreteux, abrutissement mental, décors où ne transpire aucune grâce, aucune aspérité, au profit d’un déluge de couleurs saturées et de raccords trafiqués (la fin en gros pétard mouillé, alors que le film paraît ne pas avoir commencé).
La fluidité et la grandeur du Monde de Nemo, son goût pour l’exploration et le flottement féerique (l’image de synthèse comme pluie de formes chatoyantes et de matières en mouvement) laissent place à un univers compartimenté et rigide, sorte de projection sur le mode du conte d’une vie de bureau hyper-étriquée. Obsession de la réussite sociale, aigreur et mesquinerie de chaque geste ou action (le héros devient une imposture de superstar et comprend que rien ne vaut une vie pépère avec mémère). Entre imposture du rêve et neutralité desséchée du quotidien, pas de place pour une quelconque réalité de l’enchantement : le rêve est complètement absent de Gang de requins, atroce contrefaçon des terrains de jeu aux profondeurs infinies de chez Pixar.