Wikipédia-film comme le cinéma français en raffole – merci La Môme -, Gainsbourg vie héroïque condense à peu près tous les travers du mauvais biopic. En premier lieu le scénario, CV déroulé façon « il était une fois », de l’enfance à la presque mort, avec stabilobossage du génie inné, d’un ou deux traumas originels, puis d’heures de gloire connues de tous avant l’imparable descente aux enfers qui plonge Gainsbarre en people psychanalysé et glorifié comme les autres. Gainsbourg importe peu, au fond, à Sfar, simple fan dont l’opinion sur le mythe ne diverge à aucun moment des hommages télévisuels rendus depuis vingt ans. Son film pourrait évoquer la vie de Johnny, de Sardou ou de Gilbert Montagné, il ne bougerait pas d’un iota, dans la structure ou la durée. Rien que le complément du titre, « vie héroïque », ne ment pas sur les intentions de fadeur lisse et publicitaire. Essayez avec les people cités plus haut, ça fonctionne tout pareil.
Le film ne se remet jamais de cette absence d’enjeux et de fermeté. Sfar (qui fait ses débuts au cinéma, bonjour la modestie) ne le dément pas : il reconnaît lui-même qu’il ne savait pas quoi retrancher… on le croit sur parole. Le résultat final, d’une platitude navrante, zappe même du cahier des charges biopical les creux, descentes et bosses. Cinquante ans de carrière défilent ainsi en tranches égales (un quart d’heure par femme, qu’elle soit coup d’un soir ou Jane Birkin), ponctués d’une bardée de tubes dont le cinéaste explique la genèse en gentil petit gardien de musée – « écris-moi la plus belle chanson d’amour », susurre Bardot. Tube suivant : Je t’aime moi non plus. Même la dualité du chanteur, au départ clé psy circonscrivant l’artiste en enfant de la guerre traumatisé par la propagande antisémite, s’étiole à mi parcourt, devenu gimmick encombrant. Pour la mise en perspective, on repassera : ce Gainsbourg-là se coule dans toutes les époques ou dans les bras d’une femme, avec une virtuosité de caméléon. Ce pourrait être digne d’intérêt. Mais non, manifestement, Sfar trouve ça tout à fait normal. A moins qu’il ne s’en foute comme de son premier CD.
Le pire réside surtout dans ce transformisme obsessionnel (ou labeur de petit élève studieux), qui condamne l’ensemble au rang d’ersatz, forcément en deçà des archives de l’INA, modèles avoués et dupliqués à l’identique. Si Eric Elmosnino, en Gainsbourg, transcende remarquablement l’imitation, le reste du casting n’est qu’un défilé carnavalesque d’une fadasserie consternante – sommet : Laetitia Casta qui, par-delà sa perruque blonde, singe Bardot jusqu’au moindre phrasé boudeur, comme aux plus belles heures de Sébastien c’est fou ! Apparemment, Sfar n’a pas retenu la leçon du récent Histoire d’un mec d’Antoine de Caunes qui, langue tirée, recyclait une panoplie d’images et d’effets de « déjà vu » et un Coluche de chez Michou. Idem ici pour un film dévoué à jouer aux sept différences tout du long. De toute façon, on le répète, il n’y a paradoxalement que ça à faire dans cet exposé souffreteux, ployant grotesquement sous sa tonne d’anecdotes à caser.