Avec The Mission, sorti l’été dernier, Johnnie To prouvait qu’il y avait bien une vie pour le cinéma de Hong Kong après le départ pour Hollywood du fils prodigue, John Woo, et les infidélités du non moins doué Tsui Hark. Polar élégamment stylisé, The Mission réunissait un groupe de pros de la gâchette, dignes héritiers des charismatiques Chow Yun-fat ou Tony Leung Chiu-waï. Impossible de ne pas faire le rapprochement avec Fulltime killer, tourné en 2001 et dans lequel Johnnie To met une nouvelle fois en scène des tueurs de sang froid à l’allure imparable. Après le portrait de groupe style « Rat pack » de The Mission, le cinéaste travaille ici un autre canevas caractéristique du polar : la rivalité entre deux tueurs à gages qui se disputent la place de numéro un au box office des gunners et, accessoirement, le coeur de la même femme. L’occasion pour To de dresser le portrait de personnalités antagonistes qui pourraient bien être les deux facettes du gangster au cinéma. Alors que O (T. Sorimachi) est un solitaire plutôt mutique et fataliste dont le seul but dans la vie est de passer inaperçu, Tok (le chanteur à midinettes Andy Lau) n’existe que dans la flamboyance, de ses vêtements griffés à ses chorégraphies meurtrières, transformant les commandes à accomplir en envolées lyriques et mises en spectacle de son corps.
Avec ses allures de polar lambda (intrigue éculée et personnages stéréotypés), Fulltime killer débarque en fait à point nommé dans l’histoire du genre après les modernes (Seijun Suzuki et son cultissime La Marque du tueur) et les post-modernes (Wong Kar-waï et son très glamour Les Anges déçus). Que filmer quand tout a déjà été filmé ? C’est l’enjeu du long métrage de To et ce qui explique le formidable recyclage d’images auquel on a assiste. Les citations cinématographiques des maîtres du genre abondent, parfois clairement exposées (quand Tok cite un film de Jean-Pierre Melville), parfois plus codées (l’héroïne qui fait le ménage dans l’appartement du tueur comme tout droit sortie d’un Wong Kar-waï). Fulltime killer se pose ainsi en héritier d’un genre qu’il pille allègrement pour composer sa matière même. Au delà du jeu de piste pour cinéphiles nerds (pléonasme ?), le film de To a pour principal intérêt de faire évoluer ses héros dans un univers fantasmatique dans lequel le réel et le concret n’ont plus leur place. Car Fulltime killer -et c’est là son plus beau mérite- redore le blason des gangsters délaissés par John Woo en leur édifiant rien moins que le bréviaire d’une mythologie à leur gloire.