Réalisé entre deux grosses productions (Ocean’s Eleven et son film de science-fiction à venir, Solaris), Full Frontal fait figure de parenthèse ludique dans la carrière d’un Steven Soderbergh devenu le chouchou de l’establishment hollywoodien. Tourné en dix-huit jours avec un budget modeste et un casting composé « d’amis » (Julia Roberts, entre autres), le nouvel opus du cinéaste ressemble en effet à un pur exercice de style propice aux expérimentations formelles et narratives. Pourtant, à la vision de cet objet arty assez creux, force est de constater que Soderbergh est peut-être plus à l’aise dans les contraintes d’un blockbuster comme Ocean’s eleven et dans la rigidité d’une solide histoire à raconter. Fondé sur les sketchs de Coleman Hough, auteur de one-woman-shows, Full Frontal se déroule en 24 heures et est composé de sept histoires centrées sur des personnages destinés à se rencontrer à la fin du film lors de l’anniversaire d’un ami commun. C’est la partie la plus faible du long métrage, son côté chronique de quadragénaires en crise (la kiné à la recherche de l’homme de sa vie, sa soeur, business woman qui trompe son mari, un scénariste aigri…). Décomposé en une suite de saynètes sans intérêt sous-tendues par des dialogues insipides, Full Frontal prend la forme d’un babillage monotone entre Wasps d’âge mûr en proie à d’ennuyeuses crises existentielles.
Il y a pourtant une autre dimension dans le film de Soderbergh malheureusement mal exploitée par le cinéaste. Avec son mélange de vidéo et de film, Full frontal se veut aussi une sorte de docu-fiction, un objet fictif affleurant le réel. Avant le tournage, le réalisateur a ainsi envoyé à ses comédiens une liste de dix règles à suivre parmi lesquelles l’obligation de s’occuper eux-mêmes de leur maquillage et habillage et, comble de l’horreur, de se passer d’un chauffeur et d’une caravane sur le tournage. Les acteurs devaient en outre répondre à des interviews orchestrées par le cinéaste qui pourraient éventuellement être utilisées dans le film. Une confusion entre fiction et réalité, personnage et comédiens étaient supposée s’opérer. Or cette confusion ne fonctionne réellement que lorsque Soderbergh filme ce qu’il connaît le mieux : les coulisses du cinéma. Un seul moment de Full frontal donne la mesure de ce qu’aurait pu être ce long métrage : celui au cours duquel Julia Roberts et son partenaire ne savent plus si la caméra tourne encore et qu’ils sont entre deux « états ». Soderbergh aurait pu fonder un film entier sur cette position vertigineuse, il a hélas préféré la diluer dans une somme de bavardages artificiels auxquels le gros grain du numérique ne parvient même pas à donner le goût du réel.