Trois personnages dans le désert marocain. Voilà comment pourrait se résumer Freedom, nouvel opus minimaliste du poète Bartas, dont l’œuvre ne cesse décidément de gagner en beauté et en lumière. Considéré à tort mais par beaucoup comme un artiste autiste à l’univers particulièrement opaque (voir ses premiers essais, Corridor et Trois jours, il est vrai un brin dépressifs), Sharunas Bartas s’ouvre avec ce film au soleil et à l’ampleur de l’Afrique du Nord. Trois personnages, donc, à l’identité floue. Deux hommes et une jeune femme. Contrebandiers, passeurs de drogue ? Certainement, puisqu’ils sont recherchés par une patrouille de police après avoir échappé in extremis à une interception maritime. Cette fuite les contraint à échouer sur une plage et à errer dans des paysages désolés et sublimes, en quête d’eau et de vivres. Peut-être de tendresse aussi…
D’où naît la puissance des films de Bartas ? Pour l’essentiel, d’un rapport intense avec son champ. Ce qui est capté par l’auteur de The House relève d’une sorte d’épiphanie visuelle et se doit d’être contemplé en tant que telle, avec la durée que nécessite la sustentation de notre regard par ces images, leur plein effet sur notre réseau sensible. Qu’il se concentre sur un geste, un visage ou une colonie de crustacés, chaque plan semble nous réapprendre une splendeur oubliée, initiant le retour d’une perception enfouie sous des monceaux de pellicules pauvres et insanes, inconscientes des trésors qu’elles pouvaient receler. Parce qu’ici, l’attention aux êtres ou aux choses devient une affaire d’éthique, avec la croyance indéfectible en une aura humaine et tellurique, charnelle et cosmique. Bartas est un pur parce qu’il est convaincu que tout -le laid comme le beau, la peau comme le minéral- peut bouleverser, du moment que l’on y prête, derrière la caméra, suffisamment de foi. Une simple caresse, par exemple, peut prendre dans Freedom une ampleur extraordinaire, ou, plus exactement, juste, car le cinéaste lituanien sait mieux que quiconque aujourd’hui rétablir l’authenticité du monde et des hommes, rendant à chacun de leurs rites leur véritable valeur. La parole n’est alors plus nécessaire pour communiquer la douleur, la solitude ou le désir Enfin débarrassé du galvaudé, du déjà vu, aux antipodes du panégyrique frelaté, le cinéma regagne grâce à Bartas son identité fondamentale : celle d’un révélateur d’âmes et de sensations.