D’une certaine manière, Free zone vaut mieux que Terre promise, le précédent film d’Amos Gitaï. Ce qui ne veut pas dire grand-chose, tant le cinéaste israélien semble dans une période de petite forme depuis le chef-d’oeuvre Kippour, mais ce qui tient en un virage décisif : après le scénario en carton de Terre promise, prétexte à des simplifications impensables de la part d’un cinéaste aussi brillant, Gitaï a semble-t-il décidé d’abandonner complètement l’idée même d’un scénario. Free zone, en effet, est un film de pure mise en espace, partant d’une trouvaille (la découverte d’une zone de libre-échange au coeur du désert, à la frontière d’Israël et de la Jordanie) pour élaborer un récit de l’intermittence dont les enjeux, une somme d’argent à récupérer, se muent en initiation à la complexité du monde pour une jeune Américaine naïve (Natalie Portman) qui se retrouve par hasard entraînée dans la transaction.
Ce qui sauve un tel film, c’est évidemment le talent seul de son metteur en scène, surgissant le temps d’une splendide ouverture et se propageant dans le film comme une traînée de poudre dont on ne sait jamais si elle débouchera sur une grande scène ou un pétard mouillé. Ce qui menace de le faire plier, ce sont au contraire les traces d’un scénario de thriller existentiel vague et cependant rigide (tout ce qui tourne autour de la transaction) et dont Gitaï, dans un élan de fumisterie qui aurait pu le sauver, ne parvient jamais à se libérer complètement. Dommage, tant le film, en l’état, se situe dans cet entre-deux formel beaucoup moins passionnant que celui, géographique et politique, dont la « zone » est le symbole. Pas assez poussé, réalisé visiblement trop vite (comme son précédent film), Free zone demeure le brouillon traversé de fulgurances de ce qu’il aurait pu être.
Reste cependant une force d’ambiguïté peu commune, bien plus intéressante que dans Terre promise et ses raccourcis symboliques énormes, où Gitaï retrouve cette maturité de discours qui rendait si important et utile, dans la grande machinerie du world cinéma engagé, un film comme Kedma. Cette ambiguïté, ce recours à la mise en espace comme ultime argument politique, lesté de tout conformisme du discours, rend éminemment précieux le cinéma de Gitaï, même quand il offre, comme ici, un rendu minimal. Contrairement aux films d’un Tanovic (L’Enfer bientôt) ou à un Paradise now, Free zone contient en lui cette part de réel qui engage la question du cinéma politique aujourd’hui : retour de flamme entre le grand flot des images documentaires dont il s’irrigue et vertus d’un art de pure médiation critique.