Dans Entre les murs, les élèves dissipés et leur prof sympa devaient en découdre avec l’école, mais aussi, et surtout, avec le naturalisme mou – qui gagnait à la fin. Dans Foxfire, adapté d’un roman de Joyce Carol Oates et narrant l’histoire d’un gang de filles dans l’Amérique des fifties, la révolte ne concerne pas tant le machisme ordinaire ou l’injustice sociale : le véritable ennemi du gang, c’est l’adaptation littéraire à tendance muséographique. Elle aussi finit par l’emporter.
Le défi que se lance Cantet est de tous les plans, il consiste à vouloir secouer le genre et à résister à la tentation du film qui fait « period », caméra portée et vêtements chiffonnés se chargeant pour lui de malmener le film d’époque et ses chaussures trop bien cirées. Il suffit pourtant d’un détail, d’emblée, pour condamner Foxfire à l’adaptation ripolinée : le plan d’ouverture sur la machine à écrire sur laquelle tapote l’une des filles rescapée du gang. Derrière la machine à écrire, on identifie tout de suite, plutôt qu’un personnage face à sa mémoire anarchique et touffue, une scénariste agençant ses souvenirs et coupant tout ce qui dépasse. Pendant deux heures et demi (le film est d’ailleurs trop long), impossible de l’arrêter : la machine à écrire est lancée dans sa course folle, pliant la viscosité de la mémoire à l’illusion rétrospective d’un souvenir d’emblée scénarisé, désinfecté de ses scories et s’intégrant à un flux cohérent, rythmé en deux parties, de l’ascension à la descente aux enfers. Cantet semble pourtant conscient à chaque instant de la rigidité qui menace Foxfire. Mais il ne fait que s’en protéger, sans beaucoup d’effet, en délaissant le marbre propret du musée pour une négligence trop finement exécutée et réfléchie. Le problème était le même (mais le film était plus évidemment raté), dans Après mai, le dernier Assayas, dont le récit desséché intégrait d’emblée le regard d’Assayas vieux. Sans innocence, il ne restait plus que des jeunes déjà vieux, et une seule et même peau pour la nostalgie de vétéran et le roman initiatique, faisant se soulever les mèches rebelles sur un seul visage : celui d’Assayas, réalisateur quinquagénaire.
Devant Foxfire, on pense aussi à My week with Marilyn ou à Sur la route, tous deux sortis cette année. Soit : l’adaptation comme grande entreprise d’aseptisation. Du livre au film un peu de matière se perd mais paradoxalement, elle se perd dans le mimétisme le plus méticuleux. Ces films racontent tous la même histoire, le même récit d’apprentissage pour une innocence qui avance et se sait avancer, qui louche toujours vers la page suivante et sait d’emblée ce qu’elle contient. Il n’y a pas plus sclérosant que ce procédé purement littéraire (le récit rétrospectif à la première personne), purement mimétique, qui renvoie tous ces films à l’horizon terminal du récent Confession d’un enfant du siècle : le résumé d’œuvre du patrimoine pour bacheliers pressés. Cette neutralisation, par l’adaptation, du cœur fou de l’œuvre, est le fait d’une poignée de détails, toujours les mêmes : rythme atone, sur-écriture qui fait mine de ne pas trop écrire, recherche d’un « effet froissé » trop savamment travaillé, le tout décoré d’une foule de gadgets – machines à écrire, soleil, fous rires, tâches de rousseur un peu partout.
Il se passe bien quelque chose, néanmoins, dans la première partie du film,quand le gang de filles commence à prendre forme et que, le soir d’Halloween, celles-ci se métamorphosent en petites sorcières pour profaner des vitrines. Il y a dans cette révolte une forme d’excès assez réussie qui semble tenir à ce qu’à ce moment-là, les filles ne savent pas ce qu’elles font et ne cherchent pas à le savoir, tout comme Cantet lui-même semble occupé seulement à capturer un peu d’innocence en filmant des personnages légèrement en retard par rapport à la situation. Ici et ici seulement, sans l’aide d’un coup de peigne, le film obtient efficacement son effet « saut du lit ».