Fix me s’inscrit dans la veine des films à la première personne, façon Journal intime de Moretti. Sauf que Raed Andoni est Palestinien, qu’il habite Ramallah, et que ses maux de tête incurables l’obsèdent au point de lui inspirer le film que voici. Cet écart culturel ne saurait toutefois estomper ce que Fix me reproduit d’un tel genre cinématographique, dont il relève bel et bien. Une déambulation permanente, des rencontres, des pensées en voix off, quel que soit le sujet filmé, et la trajectoire qu’il décide de tracer, la grammaire nombriliste finit toujours par le rattacher inconsciemment à un archétype narratif hyper codifié. Cette ambivalence travaille d’ailleurs le film en profondeur : plus Andoni essaie d’être lui-même, plus il se définit par ce qui l’entoure. Constat assez classique, mais qui se vérifie d’autant plus en Palestine, terre occupée qui pousse chaque individu à la solidarité, ou, du moins, à se positionner sur des questions communes.
Au départ, donc, une migraine tenace qui pousse le cinéaste à entamer une psychothérapie. En simultané, c’est aussi une idée de cinéma qui commence à germer, et que la caméra enregistre dans les conditions du direct. Arrivé chez son psy, Andoni lui explique les raisons de sa venue, et la présence de l’équipe technique qui au fond de la pièce, les cadre tous les deux. « Ils ne comprennent pas l’Arabe » prévient-il, de manière à ce que l’enregistrement soit le plus neutre possible. Cette mise en abyme ainsi dressée, le film trouve son point d’équilibre : Andoni (l’acteur), s’abandonne à ses confidences, saisies par une caméra sans tête, un peu flottante, et dont le montage tente de conserver la structure intempestive.
S’il y a une obsession ici, c’est bien celle-là : « ne pas rentrer dans une case » comme le répète Andoni tout au long de la de thérapie, contrarier ou dépasser les symboles contenus dans chaque image. Cette dimension bravache est moins crispante que délibérément burlesque, puisque régulièrement tournée en dérision par la mise en scène. Andoni, qui avoue à son psy se sentir légèrement supérieur aux siens, finit par se lever sur sa chaise pour symboliser sa hauteur de vue, un peu con, un peu gêné, planté tout seul au beau milieu du cadre. Plus tard, il filme allègrement un chameau qui bouche à moitié la circulation, son cou surplombant le bord d’une route, métaphore plus qu’évidente du dandysme irascible du cinéaste.
Même moqué, cet art du contre-pied n’en demeure pas moins appliqué à la lettre. Toujours en mouvement, le film est prêt à contredire ou compléter l’image précédente, à dépasser sa nature même d’objet narcissique. Une manif anti-mur de Cisjordanie réprimée au gaz lacrymo se termine par une discussion débonnaire avec une vieille connaissance du cinéaste, les arrêts aux check-points sont l’occasion d’une mini-bravade : continuer à filmer le plus longtemps possible. Globalement, Fix me est très à l’écoute du monde extérieur, plus généreux que son dispositif ne le laisse entendre. C’est très criant lors des scènes de famille, où le cadre se remplit des réflexions croustillantes de la mère et des cousins pendant qu’Andoni, quasi muet, pianote sur son ordinateur, sourire aux lèvres, comme s’il avait conscience d’avoir capturé une bonne scène à ce moment précis. En cela – et en cela seulement -, Andoni est à l’opposé d’Elia Suleiman, voisin (à Nazareth) et grand frère spirituel, plus calculateur, plus flamboyant que son cadet – il est notamment bien meilleur acteur -, mais aussi plus assujetti à son dispositif burlesque, un peu grippé par sa superbe cannoise. Il semblerait que sur l’échelle de l’insubordination, le natif de Ramallah, plus frais, plus souple, ait quelques longueurs d’avance.