Le principe se voudrait vaguement oulipien. Lars Von Trier tient The Perfect human, court-métrage réalisé par le Danois Jørgen Leth en 1967, pour un de ses films fétiches. Aujourd’hui, il convoque le cinéaste, se proclame son thérapeute (au nom de quel diagnostic, on n’en sait rien) et propose une petite cérémonie de gages, mi SM, mi Jacques-à-dit : refaire le film cinq fois en se soumettant à des « obstructions » (le terme est prélevé dans le vocabulaire sportif) de tous ordres. Cela donne : interdiction de faire des plans de plus de douze images, obligation de tourner une scène de repas luxueux au milieu d’une foule de miséreux, de faire un dessin animé, de filmer à Cuba, et autres réjouissances. Ce dispositif, qui n’est pas sans rappeler les interludes des 11 commandements de Michaël Youn (« en string sur la plage, du viagra tu avaleras », etc.), déroule son programme tranquillement, inintéressant au possible. Five obstructions, dans ses meilleurs moments, est légèrement drôle : Jørgen Leth, un peu pitoyable, un peu souffre-douleur, un peu chien battu tout au long du film, visiblement épuisé comme un concurrent de Fort Boyard : « Respire ! Respire ! Tu peux le faire ! », tandis que le Père Fouras se frotte les mains. Lars Von Trier se décerne des satisfecit (« je sais, je suis pervers, mais que veux-tu ? J’expérimente« ), l’autre en rajoute dans le compliment jaune (« oh, Lars, tu es très méchant, mais j’aime ça »), et on se prend à rêver que cette ânerie, pour inepte qu’elle soit, puisse être motivée par une saine impulsion, peut-être même une générosité admirative, ce qui vaudrait un bon point à LVT.
Mais déjà échaudés par les tours de passe-passe du boy scout de « l’expérimentation », on se garde bien d’un tel espoir. Evidemment, le dernier remake de The Perfect human est réalisé par LVT lui-même, et doit être le plus réussi. Il consiste en une lettre à la première personne, écrite par LVT et lue par son acolyte, que l’on pourrait résumer ainsi : je t’ai mis à nu, Jørgen, j’ai révélé le fond de ton âme, vérifié ton « artisticité », mais ce qui ressort de cette expérience, c’est uniquement ma fragilité, mes fractures, mon âme tourmentée, mon tempérament artiste. J’ai réussi et j’ai échoué, parce que je suis encore plus artiste que toi. Je m’excuse, mais quand je regarde un artiste dans les yeux, je n’y vois que le reflet de mon génie. C’est donc là qu’il voulait en venir ? T’es sympa Jørgen, mais l’artiste, c’est Lars ? Oui. L’hommage, LVT le dirige vers lui-même, avec pour unique souci le pauvre désir d’avoir le dernier mot. Et par son fantasme de vieille dominatrice, intime l’ordre aux autres de venir le louer à leur corps défendant. Jørgen Leth apparaît comme un pantin à qui l’on promet une récompense et qui apprend trop tard qu’il n’a été convoqué que pour la porter au véritable lauréat. Il n’est pas sûr que les fans de LVT, transis d’amour au moindre soubresaut de sa DV qu’ils interprètent immédiatement comme le tocsin d’une révolution en marche, entendront cela. Il y a même fort à parier que le cinéaste, prestidigitateur médiocre, fera passer en contrebande son geste « wellesien » et sera acclamé pour son strip-tease bidon. Il est dit, de toutes façons, que le ridicule ne le tuera pas.