Depuis un premier film « traditionnel » dont le titre programmatique (HPG, son vit son œuvre) le faisait plonger, la queue entre les jambes, dans le grand bain casse-gueule de l’autoportrait, HPG aborde le cinéma français avec pour moteur une drôle de schizophrénie, qui le voit en même temps revendiquer et refuser son organe encombrant – ou, ce qui revient au même, bander et débander. À son évident narcissisme, les films opposent en effet un puissant antidote, contenu dans un programme d’ivresse masochiste scrupuleusement suivi. C’est un programme énoncé dès le début de Fils de, par HPG à sa collaboratrice, après avoir décidé d’arrêter le tournage de son film sitôt commencé : voir jusqu’où peut le mener son besoin de bassesse. Il vient à peine d’annoncer, devant toute l’équipe, d’abord sur le mode du « on dirait que » puis pour de bon, qu’il quittait le navire. Toute honte bue, il choisit alors la fuite pour mieux commencer le film qu’il veut vraiment faire. Celui d’un lâche, de quelqu’un qui ne sait ni ne veut choisir. Et c’est précisément ce déséquilibre qui est au cœur du travail d’HPG. Parce qu’il faut au contraire un certain courage pour s’affronter ainsi à sa propre image, confronter sa stature de star du X à une possible débandade.
Bien entendu, il ne s’agit pas pour lui de passer sans coup férir du porno au « tradi » l’air de rien, l’air surtout de vouloir se racheter une conduite. À quelqu’un qui lui demande s’il songe à arrêter le porno, il répond qu’il n’en est pas question. L’un ne va pas sans l’autre : HPG veut faire du cinéma à la seule condition que la pornographie, pour n’y pas apparaître, en reste le ressort. Ressort double en vérité, fortement ambivalent, qui montre à quel point la pornographie est pour lui tout ensemble une chance et une malchance. Chance de lui avoir permis de devenir ce qu’il est, malchance d’être ce qu’il est devenu. C’est dans cet entredeux incertain de l’existence, au mitan de sa vie et alors qu’il est désormais père de deux enfants, qu’HPG livre, avec Fils de, son film le plus bouleversant.
Bouleversant d’abord de sincérité. Puisqu’il est clair que son cinéma ne se fera jamais sans le concours de son organe, il lui incombe d’en parcourir l’histoire jusqu’au bout. Devenu procréateur, il sera donc ici question de le cacher. Mais le reléguer hors champ ne signifie pas l’effacer de la fiction. Il reste là, tapi dans l’ombre, comme une menace imminente sur sa vie de couple. Dès lors, inscrire ses propres enfants dans le corps du film revient à confronter sciemment le sien aux leurs. Eux sont habillés, rien de leur impudeur naturelle n’est montré, peut-être parce que cette innocence est passée toute entière du côté d’HPG, généralement à poil sur les plateaux, à jouer au papa et à la maman. Plus d’une fois cet état d’enfance sera d’ailleurs asséné, non sans une certaine lourdeur explicative, compensée par une réelle désinvolture. Mais confrontée à la réalité du couple, cette enfance prolongée, cette innocence revendiquée, prend le tour émouvant d’un paradis peut-être perdu, à quoi il faudrait vaille que vaille se raccrocher.
Les plus beaux moments des films d’HPG sont ainsi ceux où la fiction (territoire premier de la pornographie) s’arrête pour regarder, quelque peu hébétée, le réel en face. Passée une scène gonzo où deux femmes âgées ont laissé libre court à leurs envies, vient le temps de la discussion, ces moments un peu gênants où HPG frotte sa folie à celle des autres, et reconnaît pour lui-même appartenir à une drôle de ménagerie, celles des saltimbanques de la nuit guidés par leurs désirs les moins avouables, leurs érections les plus secrètes, résolument en dehors de la société. Mais Fils de est entièrement travaillé par la porosité de plus en plus grande entre ces moments à part, partagés « hors caméra » entre hardeurs professionnels et amateurs, moments qui tous documentent le travail d’HPG, et ceux qui paradoxalement, ont tout à coup l’air de relancer la fiction. Ce sont ceux des scènes de famille, qui laissent parfois affleurer l’absence d’HPG à sa vie, comme s’il en était contre son gré le mauvais acteur. Mais en imaginant pour le cinéma des scènes du quotidien avec sa femme et ses enfants, au même titre qu’il met en scène ses fantasmes ou ceux des autres, HPG parvient progressivement à réinvestir sa vie dans le jeu, à se la réapproprier en tant que comédien. Deux magnifiques séquences en offrent, l’une à la suite de l’autre, un saisissant exemple. Dans la première, HPG mime le coucher de ses enfants en compagnie du chanteur Christophe qui l’accompagne dans ses gestes à l’harmonica ; dans la seconde, armé d’une torche qui le renvoie à la lanterne magique, sa main en ombre chinoise vient caresser ses enfants endormis. Sa volonté de se réinventer papa au plus près de l’expression corporelle d’un côté, ou par le truchement pudique d’une projection de l’autre, dit bien à quelle équidistance HPG trouve son lieu, précisément entre l’autoportrait et l’autofiction. Car il est bien évident qu’à devenir parent, on se confronte inévitablement à l’image que l’on a de soi. Une image qui tente le plus possible de correspondre à un modèle. Et c’est la beauté frondeuse du film d’HPG que d’en refuser au contraire la normalité, au profit de la farce.
Ainsi, HPG n’hésite pas à utiliser le gag pour exprimer son désarroi. Le gag chez lui est d’abord le produit d’une déflation, d’un affaissement propre à son masochisme. C’est lorsque ça débande enfin que la scène semble dans un premier temps laisser le réel prendre le dessus, en forme de pied de nez aux fantasmes, de retour à l’évidence : devant une toile peinte à la va-vite représentant un paysage de montagnes, HPG s’apprête à tourner une scène avec deux acteurs professionnels. Sa femme s’invite alors sur le tournage, qui dérive en discussion sur la responsabilité de chacun dans sa vie privée. A l’issue de quoi HPG remonte tout de même sur l’escabeau qui avait servi à tendre la toile à présent retombée et demande, en regardant le plafond, qu’on lui foute la paix pour le laisser regarder l’horizon. Ce refus persistant du réel, pour continuer de jouer envers et contre tout, est peut-être ce qu’il y a de plus touchant chez lui. Même empesé de sa famille, c’est encore en éternel Monsieur Loyal qu’il se présente à nous, arborant pour toujours sa bite et son chapeau.