Inspiré de faits réels -le viol d’une jeune Tunisienne à l’âge de 17 ans par son propre cousin-, Fatma aurait pu aisément sombrer dans la démonstration. Rien de plus facile, en effet, que d’utiliser ce fait divers pour élaborer une lourde thèse sur la condition de la femme arabe, son asservissement. Tout le contraire de la démarche adoptée par le cinéaste, Khaled Ghorbal, qui au-delà du factuel, de la dénonciation, s’intéresse avant tout à l’affrontement permanent entre l’intime et le social dans son pays.
Fatma (Awatef Jendoubi, très convaincante pour son premier rôle au cinéma) sait que la perte de sa virginité fait d’elle une « intouchable », elle opte donc pour le silence. Dès lors son histoire sera avant tout celle d’une prise de parole et de la réappropriation d’un corps. Un long et douloureux cheminement que le cinéaste sait filmer tout en retenue. Et à travers le parcours de Fatma se dessine progressivement le portrait en creux d’une Tunisie tiraillée entre modernité et réflexes archaïques. Oscillant entre ces deux pôles, le film ne cesse de se mouvoir d’un camp à l’autre, sans jamais s’attarder (à l’image de Samira, l’amie de Fatma, qui après avoir mené une vie insouciante à Tunis se voit, de retour dans sa famille, écrasée par les bouffées intégristes d’un frère). De ce mouvement naît un très beau film sur la contradiction, celle qui règne dans un pays où la classe moyenne adopte tous les signes extérieurs de la modernité et de la réussite à l’occidentale mais qui refuse d’évoluer réellement en ce qui concerne la place de la femme dans la société. Un comportement à la limite de la schizophrénie qui conduit à une pratique d’une éclatante hypocrisie : « les trois points de suture » (avant leur mariage plutôt que d’avouer qu’elles ne sont plus vierges, les femmes préfèrent se faire recoudre l’hymen). Le constat n’est pas spécialement optimiste -possibilité de libération il y a, même si elle conduit forcément à la solitude- mais Fatma, avec sobriété et intelligence, a le mérite de mettre les choses à plat.