Laissé pour mort à l’issue d’un casse, Driver veut punir les assassins de son frère. Deux flics et un chasseur de prime le prennent en chasse. « C’est une brute sans finesse, mais il est pur », disent-ils à propos de leur cible. Un portrait-robot qui pourrait être celui du film. Sorte de relecture bisseuse du Bon, la brute et le truand, Faster aborde le genre comme une ascèse, sans trop d’afféteries ou de goguenardise. Bien sûr, il y a l’écriture : petite police, pas d’interligne, style dépouillé, elle a été resserrée au maximum, réduite au plus petit dénominateur commun. Mais ce dépouillement se signale en réalité partout, jusqu’à la caricature. Circonscrit à la frontière entre le Nevada et la Californie du Sud, le film n’est qu’une succession d’aller-retours dictés par la liste des personnes à exécuter : un nom imprimé, un trajet en bagnole, une balle dans la tête, et ainsi de suite. Gunfights et bastons se réduisent d’ailleurs à leur plus simple expression, l’économie d’effets relayant à l’écran la sauvagerie et l’aveuglement meurtrier du héros (la séquence brutale de la discothèque). Dans tous les sens du terme, Faster est un film expéditif.
Même la mise en scène, rivetée et horizontale, vient épouser ce programme. Ainsi de la route, filmée au ras du bitume, qui dépasse le stade de transition narrative pour basculer dans l’anaphore : scène après scène, cette longue cicatrice noire devient celle de Driver, le symbole d’une blessure intime autant que de sa chasse obsessionnelle. La métaphore n’est pas neuve, mais George Tillman ne la martèle pas, nous épargnant poses lourdingues et regards dans le vide. Entre les deux pôles de l’actioner contemporain (la boursouflure et le réalisme), Faster refuse en fait de choisir. Comme d’autres (Blindés récemment), il opte pour une troisième voie moins moderne, plus mécanique, un cinéma expéditif encore une fois qui nous en rappelle un autre : celui de Walter Hill. Driver bien sûr, mais aussi le léonien Dernier recours (adaptation de Pour une poignée de dollars, lui-même inspiré de Yojimbo), étaient eux aussi portés par des soucis d’économie, de refus du background et de recherche d’une ligne claire. Pas d’équivoque : Tillman n’a pas, loin s’en faut, la maîtrise souveraine du maître, ce mélange d’évidence et de solidité qui faisait son prix. Mais faute d’héritier indiscutable, ce lien de parenté suffira.
Avec sa silhouette de culbuto anabolisé, Dwayne Johnson aurait d’ailleurs plu à Walter Hill (celui-ci n’avait-il pas offert à Schwarzy l’un de ses meilleurs rôles ?). Dans la peau de Driver, spectre vengeur de Club Med Gym, The Rock n’est pas loin de livrer sa meilleure prestation. Sa présence massive et littéralement décérébrée (une balle lui a traversé la tête) dessine les contours d’une figure tragique en quête de sens, d’un golem à la fois trop plein (le corps) et trop vide (le regard) qui rappelle celui qui errait dans Southland tales de Richard Kelly. Dommage que le film ne se contente pas de cette part d’indécidable et décide de piler au dernier moment sous prétexte de rédemption gluante. C’est moins le principe qui est en cause ici (l’expiation est finalement le motif récurent de ce cinéma), que sa prise de pouvoir inattendue sur le film. Il se murmure d’ailleurs qu’une fin alternative et moins moraliste dormirait dans les tiroirs, victime collatérale des habituelles projo-test. Un renoncement de dernière minute qui vient en tout cas ruiner le jusqu’au-boutisme revendiqué du film et la belle réplique de Driver à sa dernière victime : « God can’t save you from me ». Dieu non, mais le studio si.