C’est presque inéluctable : parce qu’ils ont triomphé en même temps, voiture et 7e Art sont faits pour s’entendre. Même quand il s’agit d’un film de l’acabit de Fast and furious 5. L’automobile, et plus largement le véhicule, c’est la mise en tension du corps et de l’espace par l’entremise de la vitesse, tout ce que le cinéma n’a cessé de poursuivre, capturer, enregistrer, jusque dans ses tentatives les plus primitives (L’Arrivée d’un train en gare de la Ciota). Entre ces deux-là, c’est une course-poursuite permanente : d’un côté des bolides toujours plus rapides, de l’autre une caméra qui cherche à les rattraper pour comprendre ce qu’ils disent de l’époque (liberté, spleen, frime, nihilisme, fuite en avant : faites votre choix). Dans leur dialogue se jouera toujours quelque chose de secret, de contemporain, une pure fascination esthétique qui a à voir avec la fameuse profession de foi des Futuristes italiens : « Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace ». On le pensait hier des road-movies contestataires ; il faut le dire aujourd’hui des actionner jantes alu : un film de bagnoles n’est jamais anecdotique.
Ceci posé, il y a une singularité Fast and furious. L’impression fugace que la saga est de son époque, mais avec un œil dans le rétro. Quand l’heure balance entre divertissements inflationnistes et blockbusters racés, les engins sortis des usines Neil Moritz persistent et signent dans la Série B 90’s, cette production du milieu qui fleure bon le Bruckheimer défraîchi. Ce côté nouveau riche se signale partout, dans tous les épisodes, du machisme chromé ambiant au défilé de déesses échappées d’un clip de Snoop Dog. Mais – et c’est là que l’affaire devient intéressante – à ce côté m’as-tu-vu répond une obsession de la disparition, du camouflage, pour le coup très contemporaine (on n’est pas chez Michael Mann, mais l’idée est là). Un paradoxe qui est la vraie pièce d’origine de la série : d’un film à l’autre, l’enjeu est toujours de se volatiliser, d’échapper au regard, de se soustraire au monde par la fuite en avant. Fast and furious 5 en fait la démonstration par l’absurde. Pour cet épisode brésilien, Justin Lin convoque et réunit tous les personnages phares de la saga le temps d’un dernier coup : dérober un coffre-fort remplis de billets de banque. Une réunion d’anciens qui nous semble le parfait symbole d’un film résolu à concaténer tous les enjeux de la franchise, quitte pour cela à exploser le cadre. Il faut voir ainsi comment Fast and furious 5 va basculer brusquement du Fast (vitesse, stratagèmes et discrétion inefficaces) vers le Furious (fureur, crashs dantesques et destruction à grande échelle) pour se sortir de l’impasse spatiale et narrative dans laquelle il périclitait depuis une bonne heure.
Tout découle en fait du choix de Rio de Janeiro. En troquant les highways éclairées au néon pour les ruelles tordues des favelas, Fast and furious 5 change les règles du jeu en bouchant l’horizon. Comme l’attaque du train va le démontrer d’entrée de jeu, difficile d’imaginer terrain de jeu plus hostile que ce Brésil de cinéma pour nos bas de caisse surbaissés et moteurs surpuissants. Privé de vitesse pure, le rapport du corps à l’espace se corse pour la première fois de la saga. Pourtant, Vin Diesel et sa bande vont s’escrimer comme d’habitude à s’adapter à leur nouvel environnement, à en épouser les formes et contours pour passer. En vain : intrigue comme personnage finissent par s’épuiser et tourner en rond dans ces petits périmètres. Ca palabre, ça drague, ça s’engueule mais ça ne roule pas beaucoup (chose impensable pour un F&F : une course est même traitée en ellipse). Alors, dans un geste parfaitement jouissif, le film va renverser son principe directeur pour se régénérer : si la matière ne peut s’adapter à l’espace, c’est l’espace qui va devoir se plier à la matière. Une idée déjà introduite dans le dernier épisode (la séquence du GPS), mais qui trouve ici sa plus parfaite expression – jusque dans les corps inadaptés des golgoths Vin Diesel et Dwayne Johnson. Le résultat, c’est cette poursuite, à faire pâlir d’envie Michael Bay, où deux voitures vont arracher l’immense coffre-fort de sa gangue de béton pour le tracter à fond de cinq à travers Rio. Une scène de destruction massive qui voit se transformer un tas de pognon en masse d’arme (jolie métaphore) mais surtout deux bagnoles redessiner l’espace à leur convenance pour mieux s’y fondre. Au fur et à mesure de ce chantier de démolition, les lignes de fuite prennent forme, la route s’élargit, les perspectives s’ouvrent, pour finalement déboucher sur un pont et un champ nettoyé de tout. Un territoire épuré, presque abstrait, où seule la vitesse permet de survivre, rallier l’horizon et disparaître derrière : le road-movie est mort, mais il n’a pas changé.