Fantastic Mr. Fox, le-premier-film-d’animation-de-Wes-Anderson : voilà un film pour nous. Il faut dire, il a tout pour nous plaire, à nous, la presse branchée – du style, de l’ironie, une B.O. irréprochable et une jolie teinte orangée. Alors quoi, on nous sert, sur un plateau, la synthèse moelleuse de nos goûts et nous, on fait la fine bouche ? Outre que, oui, on se méfie toujours un peu de pareilles entreprises de séduction quand elles s’avancent aussi peu masquées que celle-ci, le problème est ailleurs, il est plus vaste. Ou plutôt, si, commençons par là : le problème est que, de sa brocanterie raffinée, qui a pu nous plaire un temps, Anderson fait commerce en l’espèce d’un chantage culturel, qui, parce que son emprise s’est élargie ses dernier temps, commence un peu à nous fatiguer – et sur cette Internationale du cinéma bien habillé, nous revenons, en détail, dans Chronic’art#62, toujours en kiosques. En identifiant clairement les limites de son cinéma, Mr Fox éclaire aussi celles d’un ensemble plus vaste, une communauté de films qui, sous leur apparente diversité, s’y prennent d’une semblable manière pour aguicher et dont le très joli Mr. Fox fournit, plus ou moins malgré lui, le paradigme.
Adaptant Roald Dahl (l’histoire d’une famille de renards condamnée à se terrer après que le père a fait un casse chez des fermiers voisins), Anderson libère ici sans retenue son goût pour la miniature parce que le sujet lui offre de prendre à bras-le-corps ce qui, depuis le début, constitue la forme de sa mise en scène. Cette forme, c’est celle de la maison de poupée. C’est ce qui plaît chez lui et il faut dire que, jusqu’ici, cela ne manquait pas de charme, ni d’efficacité (la maison Tenenbaum, les cabines miniaturisées de La Vie aquatique, la guirlande de wagons de Darjeeling). C’est une manière de monter à plat qui, de fait, finit par noyer tout dans une sorte d’équivalence – et c’est bien le problème des films d’Anderson, de celui-ci surtout, corridor de saynètes, d’apartés qui se font suite dans un déroulé amorphe. C’est surtout, et c’est ce qui gêne le plus, une excuse formelle pour cadenasser les films dans une espèce de logique d’archivage, dessinant un enclos où compulser arbitrairement ses petites manies, exactement comme un enfant, devant un château Playmobil, ne se raconte pas des histoires de Playmobil mais y fait rentrer le panthéon de son petit univers. Ici comme dans d’autres films récents, mettre en scène, c’est d’abord mettre en ordre : organiser le catalogue de ses goûts, en recomposer la liste ad libitum. Qui veut visiter la chambre de Wes Anderson ?
Entendons-nous bien : il y a, indéniablement, des choses réussies dans Mr.Fox. Certains personnages (l’opossum, peut-être le plus drôle vu chez le dandy texan, jamais très à l’aise dans le comique pur) et, surtout, le procédé rétro de l’animation en stop-motion, impeccable sur la forme. Seulement, en reconduisant aussi littéralement le système Anderson, le film interroge comme jamais sur ce qui, au fond, lui tient lieu de nécessité. Il dit bien, par exemple, combien l’appétit fétichiste qui guide son cinéma depuis Rushmore a fini par dévorer les promesses qu’il aidait alors à formuler. La Famille Tennenbaum fut, peut-être, le point de rencontre idéal entre cette odyssée du minuscule et le grand sujet d’Anderson – la famille, justement. La Vie aquatique et Darjeeling limited, déjà, sentaient le recyclage : le nez dans ses miniatures et malgré quelques belles idées, Anderson y réchauffait les enjeux Tennenbaum sans horizon véritable, refermant les films comme on range sa chambre, parce que c’est l’heure.
Dans Mr. Fox, et c’est ce qui frappe le plus, le drame familial andersonien (père génial et castrateur, fils illégitime, ces marottes livrées clefs en main et offrant à la presse le confort d’une politique des auteurs a minima) semble n’être plus qu’un accessoire parmi d’autres, une simple marque à identifier. Son plaisir est ailleurs, dans l’ombre des terriers où se recompose perpétuellement la maison de poupée. Il n’est pas innocent qu’Anderson ait choisi d’enfouir son film dans ces galeries, dont les personnages ne s’extraient, par intermittence, que pour émerger dans d’autres intérieurs où s’épanouit un pur appétit de consommation (un poulailler, une fabrique de cidre, un centre commercial – le film n’est fait que de ces allers-retours). On voit bien ce que Mr. Fox voudrait nous vendre, une sorte d’apologue cool de la marginalité, un récit de gentleman cambrioleur. C’est pourtant une soif exactement inverse que le film étanche : la féérie bourgeoise des objets, à thésauriser sans fin dans le confort solitaire de son terrier. Coincé entre la tanière de ses petites marottes et l’horizon enchanté du supermarché, Mr Fox dit bien ce qui manque au cinéma chic – un peu d’air. Et porte avec lui, secondé par un bataillon de suiveurs dociles dont les rangs n’en finissent plus de grossir, la promesse déprimante d’un cinéma lounge et confortable, des films sans estomac mais jolis pour les yeux, un pur cinéma d’ameublement.