En attendant Johnny Mad Dog et alors que même Hollywood s’est attaqué récemment aux conflits africains (Rwanda, Sierra-Leone), il est plutôt bienvenu qu’un film du continent se confronte à son tour à son histoire récente. Ezra n’est certes pas le premier film à traiter des enfants-soldats, mais son esthétique aux limites du documentaire et du film d’action change des habituelles fables romancées et métaphoriques que charrie le sujet. Du Nigérian Newton Aduaka, l’un des plus grands espoirs du jeune cinéma africain, on se souvient du magnifique Rage et d’une poignée de courts brillantissimes. Ezra est donc le film de la confirmation : grand prix du mythique festival de Ouagadougou, filmé au Rwanda en super 16 au moment où le numérique est devenu solution miracle du cinéma africain, le film impressionne par sa manière de se raccrocher à un présent pur de l’action (le quotidien d’une poignée d’enfants soldats en plein conflit sierra-léonais) dégagé de toute complaisance.
L’élégance de la mise en scène d’Aduaka ne doit pas cacher une efficacité à faire pâlir nombre de cinéastes de guerre estimés. C’est peut-être de cela que le film tire sa principale force : une manière de reprendre à son compte l’horreur de ces conflits privés d’image, au moment même où, on l’a dit, nombre de cinématographies s’en emparent. Dommage, dès lors, qu’Ezra se plie à une sorte de cahier des charges très « dossiers de l’écran » qui vient parasiter la représentation brute et viscérale de l’ère Charles Taylor qui ensanglanta Liberia et Sierra-Leone dans les années 1990. Les scènes de reconstitution (commission Vérité et Réconciliation, romance artificielle) empèsent l’intrigue et brillent d’un académisme un peu gêné : c’est peut-être le tribut rendu aux efforts d’Arte (le modèle « film pour soirée thématique »), qui a financé le projet. D’où le fait que l’action et le présent pur, mémoire vive du film, sont peu à peu relégués en long flashbacks entrecroisés d’interminables scènes de procès : dommageable, tant la force d’Aduaka tient justement dans sa manière de filmer au plus près du chaos au travail.