Qu’est-il arrivé aux comédies de Woody Allen ? A cette baisse de régime, sensible depuis quelques années (pour certains, le déclin commence à Celebrity, mais les plus malveillants perçoivent des symptômes d’une douce sénilité dès Tout le monde dit I Love You), on ne saurait trop donner d’explication, si ce n’est que ce rythme de production semble davantage dicté par une prescription de neuropsychiatre que par des impératifs commerciaux. Après Accords et désaccords, véritable nadir de son œuvre, Escrocs mais pas trop remonte un peu la pente sans pour autant déroger aux nouveaux mots d’ordre de fabrication : scénario torché, casting bâclé, blagues réchauffées et une ou deux trouvailles dignes de la grande époque pour prévenir tout bâillement chez le spectateur. Néanmoins, cette tendre satire d’un couple de parvenus valait la peine puisqu’elle a offert à Woody son plus grand succès dans son pays natal qui, après tout, lui devait bien ça…
Voici de quoi il retourne. Ray Winkler, ex-taulard surnommé ironiquement The Brain par ses codétenus, est un truand à la petite semaine qui, désireux de s’assurer une confortable retraite en Floride, projette de dévaliser une banque de New York. Malgré les mises en garde de sa femme Frenchy, il peaufine son plan avec deux de ses copains de cellule, guère plus brillants que lui, et loue la pizzeria qui jouxte la banque. La couverture est un magasin de cookies tenu par Frenchy. Mais tandis que le casse échoue lamentablement, les cookies de Frenchy font fureur et toute la ville se les arrache. Les Winkler sont bientôt milliardaires, et sont confrontés à la haute société new-yorkaise dans laquelle ils ne passent pas inaperçus. Surtout pour leur nouvel ami David (Hugh Grant), un dandy qui se charge de leur apprendre les bonnes manières. Woody Allen a donc pris pour terrain de jeu un schéma de comédie américaine à la Capra, tout en se gardant bien d’y insuffler tout contenu et même toute observation réaliste, ne conservant que les situations les plus farcesques.
Malgré un point de départ amusant, comme la réussite intempestive de Frenchy, le cinéaste se contente de rabâcher les clichés qui, même dans un but purement récréatif, ont du mal à passer. Quelques moments vraiment drôles, une tendresse sincère pour ses personnages compensent tant bien que mal ce manque global d’inspiration. Cela dit, on comprend ce qui a pu séduire le public américain : le mauvais goût des Winkler, l’ébouriffante garde-robe de Ray (notamment ses costumes à dorures), cette satire un peu simplette du nouveau riche étant toujours bonne à prendre. De plus, chose rare chez l’auteur de Manhattan, il y a cette fois des bons et des méchants, clairement reconnaissables. Le réalisateur doit être le premier surpris par ce succès, car, le moins qu’on puisse dire, c’est que Escrocs mais pas trop ne ressemble pas à une formule miracle pour le box-office. Léger jusqu’à l’inconsistance, trop prisonnier de l’autoparodie, ce film souffre finalement du même laisser-aller que les précédents. Sans espérer la densité de ses films plus sérieux, on se demande un peu où est passée la verve fantasque des comédies « comiques » de Woody Allen.