Je suis votre homme était originellement le titre du dernier film de Danièle Dubroux, cinéaste singulière qui creuse depuis près de 20 ans un sillon original dans le cinéma français. Il y a, dans cette sorte d’injonction enthousiaste, toute l’essence de son cinéma : un élan impétueux et volontaire d’où perce un soupçon de menace, une vague inquiétude quant à la nature réelle de cette affirmation. Quel homme d’abord, et pourquoi et pour qui ? C’est peu dire que chez elle l’inquiétante étrangeté et la comédie sont liés par un drôle de pacte, sont comme on dit en ménage, font couple jusqu’à dangereusement plonger au fond d’insondables gouffres, parfois jusqu’à l’étouffement (le sommet de terreur que représente Borderline, réalisé il y a 12 ans). Et de ménage ici il est question, mais d’une manière qui s’éloigne considérablement de ces petites comédies bourgeoises dont le cinéma (français mais pas seulement) nous abreuve régulièrement. En l’occurrence, un, ou plutôt des ménages de grands pervers, où l’amour est vu sous l’angle d’une maladie bienheureuse, désirable et nécessaire, jamais comme un espace de niaiserie pacifiée ou de drame cu-cul, encore moins acquis et immuable.
Car Dubroux, si elle y va de sa radiographie des moeurs contemporaines (tout en s’inspirant de son propre vécu, de son passé rocambolesque), se situe d’emblée dans l’ordre de l’utopie. De cette petite communauté improbable (un mari relégué au garage, sa femme vivant avec une lesbienne, un jeune homme prêt à régler son compte à la jeune impudente, une maison close où sévit une dominatrice, et même David Cronenberg), Dubroux tire une fiction sur les arrangements que chacun, docile ou terrifié, libéré ou embrigadé, consciemment ou à son insu, est prêt à consentir dans les jeux tordus de l’amour. De ce point de vue, et sur un mode comique, Dubroux est aussi maligne que Chabrol, aussi peu romantique. Son romantisme noir (Eros et Thanatos s’affrontent avec vigueur) est conscient de lui-même, toujours dans une distance comique où l’y place le bagage psychanalytique savant dont elle use avec une confondante dextérité. Mais là où un Chabrol stigmatise et moque la têtue fixité des choses, Danièle Dubroux filme les improbables transformations psychiques dont l’humain fait preuve pour s’adapter à de nouvelles donnes, dans un va-et-vient entre intérieurs cossus drapés d’inquiétantes couleurs utérines et lieux de la banalité parisienne (la rue, les cafés, les appartements bourgeois).
Ce mouvement est d’ailleurs ce qui caractérise depuis longtemps les films de Dubroux : un mouvement d’oscillation entre le naturalisme dialogué à la française, apparemment circonscrit et identifiable, et un travail plus souterrain du langage et des intentions, un vice caché qui prend rapidement corps dans le réel pour le pervertir. Cette part de folie qui sommeille en chacun est précisément ce qu’il y a de plus tonique ici, de plus libérateur. C’est l’étincelle qui permet la mise en branle d’une réinvention des rapports amoureux sous le règne de l’utopie. Les effets hilarants autour de la figure de David Cronenberg, en ce sens, ne sont pas innocents. De là à ce que Dubroux proclame Long live the new flesh, il n’y a qu’un pas.