Méfiance, toujours, face aux films à sketchs : quel intérêt y a-t-il à réunir sous les auspices d’une même thématique des cinéastes aussi différents que Michelangelo Antonioni, Steven Soderbergh ou Wong Kar-wai ? L’entreprise s’apparente souvent à un exercice de haute couture (réunir la fine fleur du cinéma d’auteur international) sans rapport avec une réelle nécessité de cinéma, sinon de se constituer en mini festival (de Cannes). On peut à la rigueur chercher avec émotion le lien généalogique qui relie Antonioni et WKW (sans grand succès néanmoins), mais Soderbergh ? La trilogie Eros est assez inégale et le plus mauvais segment reste celui de Soderbergh, qui entreprend d’explorer la psyché masculine de deux Américains (un psychanalyste et son patient) au milieu des années 50. Deux hommes dans une pièce, deux trouées d’imaginaire (l’un regarde sans cesse par la fenêtre, observant on ne sait quoi, tandis que l’autre replonge dans un étrange rêve récurrent) : il faut reconnaître à Soderbergh une réelle virtuosité dans le déploiement de cette situation minimal, multipliant les angles, opérant avec les acteurs à de véritables chorégraphies. Mais ce dispositif presque entièrement théorique cache en réalité un festival de lieux communs sur la sexualité de l’Amérique (car c’est bien du pays qu’il s’agit ici, excusez du peu).
Du côté de chez WKW, rien de bien neuf, sinon l’assurance tranquille d’avoir une signature identifiable et un minimum syndical. Au regard de la délirante artificialité de 2046, cet épisode (La Main) semble presque une régression. WKW est en tout cas celui qui aura pris au pied de la lettre l’inconscient d’un tel projet (la Haute Couture) puisque les objets érotiques transitionnels sont ici des robes qu’un tailleur fournit à une courtisane dont le destin prend peu à peu une tournure tragique, mais à laquelle il restera fidèle jusqu’au bout. L’issue dramatique et presque macabre donne néanmoins au film une tournure opératique assez inédite chez lui. Mais le plus réussi ce n’est pas lui. Non, le court métrage qui séduit et surprend vraiment est celui réalisé par Antonioni. Le Périlleux enchaînement des choses est un objet totalement étrange, naviguant quelque part entre le sublime et le ridicule, la quintessence de l’art et le (défunt) film érotique du dimanche soir sur M6. Tout ici est sexuel, le moindre feuillage, la moindre pierre. C’est peu dire qu’Antonioni n’a jamais été aussi explicitement érotique, aussi obsédé par le sexe des femmes : une forêt, l’entrée étroite d’une propriété, une cascade dévalant une falaise, chaque élément du cadre donne le sentiment tout à la fois diffus et tenace de n’être rien d’autre qu’un vagin. D’où ce mélange de distinction aristocratique (dans les cadres, la lumière somptueuse et les graciles mouvements de caméra) et de trivialité. Quand Soderbergh et WKW restent engoncés dans les brillants systèmes qu’ils se sont construits, jouant davantage de la frustration et du renoncement (surtout WKW), Antonioni jouit d’une totale liberté de mouvement. Seul parmi ses confrères, sans entraves.