Werner Herzog et Klaus Kinski ont tourné cinq films ensembles. Entre Aguirre, la colère de Dieu en 1972 et Cobra Verde en 1987, leurs relations se sont construites de manière immuable sur la violence. Ennemis intimes est l’histoire de celles-ci. Le film aurait pu être victime d’un déséquilibre, l’un des deux hommes n’étant pas là pour se faire entendre (Klaus Kinski est décédé en 1991). Mais Werner Herzog n’est pas homme à tirer dans le dos, fusse celui de son pire ennemi. Il est donc contraint de faire les deux : œuvrer d’abord contre lui, puis pour lui tout au long du film. Progressivement, il apparaît que le plus fou des deux n’est pas celui qui semblait l’être a priori.
Kinski était un acteur incroyable certes, mais c’était d’abord un homme insupportable, pris d’accès de rage et de violence durant lesquels il pouvait tout détruire autour de lui. L’ayant côtoyé par hasard alors qu’il était lui-même âgé de 13 ans, Werner Herzog avoue ironiquement que travailler avec Kinski « ne faisait pas partie de (ses) projets d’avenir ». Il va même plus loin en stigmatisant chez l’acteur « une bonne dose de bêtise naturelle ». A ce stade du film, on rit beaucoup de la bonhomie avec laquelle Werner Herzog retrace les incidents qui ont émaillé cette orageuse collaboration. Cadré en plan large, assis dans le décor de ses précédents films, Werneg Herzog a un air de présentateur du JT en vacances. Il évoque même, vue la luxuriance végétale des espaces dans lesquels il se trouve, une publicité télévisée pour « Le Chat Machine » ; autant dire qu’il n’est pas particulièrement mis en valeur.
Progressivement, pourtant, c’est la folie du réalisateur qui se fait jour. Car finalement, c’est bien Werner Herzog qui a choisi de tourner plusieurs films avec Klaus Kinski, c’est lui encore qui a décidé de réaliser un film retraçant l’histoire de Fitzcarraldo pour lequel l’équipe fut obligée de transporter un bateau en pleine forêt vierge, c’est lui enfin qui écrit sur un carnet si petit qu’il faudrait un microscope pour relire ses notes (détail anecdotique qui a pourtant son importance) ! Au travers de l’histoire personnelle Herzog/Kinski, Ennemis intimes évoque donc les rapports entre un réalisateur et son acteur fétiche, la frontière entre la folie, la colère et la maîtrise de soi, mais aussi tout simplement la difficulté de vivre avec ou sans l’Autre.