Au cinéma, la chronique des temps de l’adolescence repose le plus souvent sur un principe scénaristique peu stimulant alternant les scènes qui racontent le monde tel qu’on le subit -travail, famille, parfois patrie- et celles qui disent le monde tel qu’on le rêve : l’ensemble des premières fois qui constituent, dit-on, la substantifique moelle de l’âge ingrat. L’exercice est réussi quand le film trouve le moyen, formel ou narratif, d’associer les fantasmes et les choses vues ; l’adolescent étant d’abord celui qui lâche la proie pour l’ombre et réfléchit après : il ne dissocie pas l’expérience et l’idée de l’expérience. C’est sa faiblesse et sa poésie.
Or, le film de Léa Pool, s’il n’échappe pas à cette règle des deux mondes, ne parvient guère qu’à la suivre paresseusement. A un plan onirique, tout droit sorti de l’imaginaire tourmenté de la petite Hanna succède la relation plate des conflits intra-parentaux. La réalisatrice semble faire l’impasse sur la question du passage. C’est d’autant plus dommage qu’une des idées qui traversent le scénario se serait prêté volontiers à un traitement de choc à partir d’un flou entre réel et imaginaire : l’action se situe en 1963 et la jeune Hanna développe une fascination pour la Nana/Anna Karina de Vivre sa vie de Jean-Luc Godard. Au lieu de travailler ce mimétisme jusqu’à ce qu’il contamine l’univers plan-plan de sa « dramatique » douce-amère, Léa Pool se contente de nous faire part de son idée sans proposer la moindre hypothèse de cinéma. Les plans du film de Godard alternent avec ceux d’Emporte-moi selon le principe bâtard : la posture jouée hier/la posture jouée aujourd’hui…
Certes, le personnage d’Hanna va peu à peu épouser le profil biographique de son modèle identificatoire : sa fugue la conduit au trottoir où elle ressent, avec violence, les risques réels à vivre sa vie dans l’ombre d’une autre. Certes, Hannah retrouve sur le visage de sa professeur de français les traits de son actrice fétiche et développe une affection pour elle qui puise aux fantasmes plus qu’à la réalité. Mais, chaque fois qu’on s’attend à un basculement possible du récit, on bute sur l’incapacité évidente à décoller du terrain plombé de l’évocation nostalgique molle : doit-on rappeler, avec cruauté, le fatal effet-Grévin qui affecte toute reconstitution même sincère -surtout sincère- des surboums des sixties et plus généralement de l’univers culturel de cette époque ? Le conseiller historique n’est jamais loin, qui rappelle, avec son sens du détail -ah ! l’ignoble détail historique !- que le tube de cette année-là, c’est Stand by me. On ne le répétera jamais assez : quand ça parle à tout le monde, ça ne parle à personne. Là où le film est le plus intéressant, c’est sans doute quand il montre les errances de sa jeune héroïne sur la question sexuelle. Quand la jeune Laura retient la main d’Hanna, prête à danser avec les garçons, il passe un peu plus que la sincérité béate de l’ensemble ; et, pour une fois, ça bascule un peu. Il faut savoir vaincre sa timidité.