Sandrine Bonnaire a une soeur qui s’appelle Sabine, son premier film lui est consacré. Dans un documentaire patient et sans détour, Sandrine Bonnaire filme sa soeur autiste entourée d’autres malades et d’un personnel exemplaire dans ce qu’on appelle un « lieu de vie » en Charente. Le film retrace aussi l’histoire de sa maladie. Depuis toujours, Sandrine Bonnaire filme sa soeur. Egrenées parmi les images d’aujourd’hui, des images granuleuses tournées en super 8 dans les années 80 montrent Sabine à son adolescence, visage farouche et sauvage, ses yeux noirs plantés dans l’objectif. La jeune fille, effrontée bouleversante, semble épanouie, vivante, elle aime la musique, joue du Schubert, se baigne en riant avec sa soeur, danse, voyage. Face à ces images brillantes d’un temps de bonheur, les images d’aujourd’hui montrent Sabine, grossie, enlaidie, abrutie par les médicaments, ralentie. Sandrine raconte en off, l’internement de sa sœur à 28 ans, pendant trois ans dans un hôpital psychiatrique et sa sortie, méconnaissable.
La jeune fille au regard sombre a disparu derrière cette silhouette, perdue par un traitement de choc archaïque. Internée, Sabine tombe dans un trou noir, sa maladie semble l’avoir emportée. Le film dénonce un système psychiatrique obsolète. Sans colère, la cinéaste décrit à distance une série d’événements, de traitements mystérieux qui semblent sortir du XIXe siècle. Après la charge de Très bien merci d’Emmanuelle Cuau sur l’absurdité du système, la question psychiatrique semble devenir une urgence. Pourtant le documentaire livre quelque chose de plus et de rare : le portrait de deux soeurs. L’angoisse de la séparation de l’une qui constamment et plaintivement appelle « Sandrine ! », et de l’autre qui recherche et interroge pour savoir, retrouver et libérer sa petite soeur. L’alternance entre aujourd’hui et avant, l’insistance sans ménagement des questions de Sandrine Bonnaire à sa sœur, les gros plans sur le regard de Sabine aujourd’hui au fond duquel parfois revient la jeune fille du super 8, rendent déchirante cette quête insatiable. On n’a jamais aussi bien et aussi justement filmé le lien qui unit deux sœurs et l’espèce de solidarité indéfectible qui empêche l’une d’aller sans l’autre. Difficile ensuite de ne pas voir dans le jeu de Sandrine Bonnaire quelque chose comme une ressemblance, un hommage ou un dédoublement, qui donneraient à voir aussi sa sœur. Se laisse alors pressentir un très émouvant partage, la complicité profonde d’une histoire entre Sabine, Sandrine et le cinéma, qui remonterait très loin, à la nécessité de filmer et de jouer avec l’autre pour lui donner sa part de bonheur.
Exhumer, montrer, revoir, Sandrine Bonnaire, tenace et combattante cherche à faire revenir sa soeur, à la réveiller d’un sommeil trop lourd. Ses questions, son exigence ne laissent rien à la fatalité d’une déchéance. Directe, parfois insistante, même crue (sur le suicide, la violence, les illusions ou les mensonges), dans sa manière sans compassion de traiter sa sœur malade, Sandrine Bonnaire s’adresse à l’autre Sabine, celle d’avant, celle que l’enfermement a dû enfouir. Dans une dernière scène redoutable, Sandrine montre à sa sœur une vidéo pour son anniversaire : ce sont les images du voyage qu’elles ont fait ensemble en Concorde à New York quand elles avaient à peu près 18 ans. Devant l’image de la Sabine heureuse, la Sabine d’aujourd’hui éclate en sanglots. Difficilement soutenable, la confrontation audacieuse n’a pourtant rien de voyeur ni de cruel : Sabine pleure de joie, dit-elle. Tracer des ponts dans le temps, maintenir le contact à bout de bras, c’est la lutte acharnée dont témoigne Elle s’appelle Sabine, magnifique dialogue entre soeurs.