Transformer une série B en Parrain made in Hongkong relève du contresens pour un cinéaste dont la facette lyrique n’est pas la meilleure. Les deux Election disent la même chose et le racontent pareillement, sans effet de symétrie ni de fresque. L’avènement du chef d’une surpuissante triade chinoise élu tous les deux ans par ses pairs n’est que succession de calculs et de renversements d’une faction au profit d’une autre, lutte du pouvoir évidement rituelle et sanguinaire.
La marotte de l’effet de manche fonctionne parce que Johnnie To sait y faire. A défaut d’amplitude, son pragmatisme desséché délivre une verdeur certaine, disons une tenue professionnelle, au carré, maintenant l’ensemble à flot. On peut apprécier les poursuites, enchevêtrements de mises en place calculées au poil où l’action suit un mouvement de balancier, mélange de mécanique cantique et boulevardière qui atteint ici quelques sommets. Notamment la scène d’Election 1, où le sceptre promis au futur parrain est transbahuté de camion à moto, de la campagne à la ville, mille vignettes ballottées, triées et retournées comme un jeu de cartes. Voila une séquence qui synthétise la bible du petit maître croupier : quête de l’équation narrative parfaite, sous-teintes glamour (légèreté du cadre, acteurs stylés) équilibrées par un réalisme documentaire.
Malheureusement, on y constate aussi tout ce que To ne sait pas faire : se détacher d’un filmage mathématique, donner du corps, de la viande à une pellicule plate comme une limande (la séquence « gore » du 2, où le sang transpire le coulis de tomate de chez Champion et les instruments de torture ont la pesanteur de polystyrène). Il y a dans Election un recul industriel que le fard festivalier ne comble pas, une soumission au narratif pour le narratif qui interdit toute subtilité ou psychologie des personnages. Ceux-ci ne se caractérisent que par postures graphiques : Lok, ayant appris la nouvelle de son élévation au téléphone, claque des mains et regarde la caméra d’un oeil radieux, avant de se mettre à table, prêt à affronter ce qui suit en parfait Super Mario de polar. Tenable sur un film, mais pas sur deux.