Drôle d’idée, une idée stimulante venue d’outre-Manche : refaire, encore, un survival type Delivrance, mais en substituant aux péquenots adultes des péquenots pré-pubères, une bande de garnements malpolis qui écoute la radio trop fort et finira par étriper un couple de gentils bobos venu passer un week-end à la campagne. Précisons d’abord que l’idée ne paraîtra complètement saugrenue qu’à ceux qui n’auraient pas suivi le petit roman récent de l’horreur grande-brittonne. Dans Eden lake se poursuit une belle entreprise de relocalisation du genre, où s’inventent des figures inédites sur les cendres fumantes d’un genre absolument américain. D’ailleurs, l’idée des marmots sanguinaires fonctionnait déjà à plein dans Wilderness, l’an dernier, qui convoquaient des personnages socialement proches, lads hauts comme trois pommes, buveur de lager à l’accent prolo-cockney imbitable et méchants comme des teignes. Eden lake a les mêmes défauts quand il tricote sur les motifs imposés par la tradition (poursuites dans les bois, retour forcé au primitif, sang et boue mêlés), la même approximation (Kelly Reilly, abominablement nulle en scream queen), donnant la même impression qu’il y a quelque chose d’un peu forcé, un peu toc, un peu chiqué (l’éreintement bidon du corps de l’héroïne).
Le meilleur atout du film, en revanche, tient dans son sujet et sa manière étonnante de désigner les forfaits de la marmaille, dixit le dossier de presse, comme un sujet de société. Apologie du coup de Kärcher ? Non, évidemment, le film prend soin de replier les coups distribués par les mioches sur ceux qu’ils ont reçus à la maison. Reste que c’est quand il travaille ce vertige-là (les adultes mis en déroute par des nains à peine pubères) qu’Eden lake trouve ses meilleurs moments. Au fond, la peur ici, comme dans les modèles, reste une peur de classe, et le monstre ne change pas de nom : de Massacre à la tronçonneuse à Eden lake, il a toujours le visage du prolétariat. Mais traditionnellement, la menace est celle d’un monde éteint, étouffé sous la civilisation, et qui reflue dans un torrent de sauvagerie (Chiens de paille, exemplairement). En dégainant ses mouflets assassins, Eden lake retourne la proposition (plus d’innocence à déniaiser, puisque plus d’innocence du tout), et régurgite sans aucun complexe quelque chose de très contemporain, cette espèce d’eschatologie du 20h chantée sur l’air de : tout fout le camp, les marmots font la loi – remember papy Voise. On peut trouver que ce n’est pas du meilleur goût (comme on pouvait s’effaroucher devant, au hasard, le clip de Justice) mais, pour le genre, le motif est d’une efficacité indéniable, réveillant les codes du survival par cette jolie proposition : les croquemitaines ont changé de camp.