Après quelques courts remarqués de-ci de-là au gré des festivals (Tout droit jusqu’au matin, La Force des choses), Alain Guiraudie est passé au moyen métrage avec Du soleil pour les gueux accueilli avec enthousiasme à Pantin et Belfort, avant de sortir en salles, sous les auspices de Magouric et de la collection Décadrage. S’il succède ainsi à Yves Caumon, Alejandra Rojo, Philippe Ramos et les frères Larrieu, pour n’en citer que quelques-uns, le jeune homme propose néanmoins un cinéma extrêmement personnel et radical tant dans ses choix narratifs que dans sa mise en scène.
Rien de plus déconcertant en effet que la façon dont Alain Guiraudie s’affranchit d’emblée de toutes les mouvances et de tous les codes du jeune cinéma français. Son univers et son écriture ne supportent aucun carcan, encore moins celui des genres : à la croisée du western, du conte philosophique, du badinage rohmérien, quelque part entre Raymond Queneau et Luc Moullet, Du soleil pour les gueux est un film irréductible sur lequel souffle une liberté absolue. Pour preuve son improbable argument initial : sur le causse, une coiffeuse aux allures de bécasse rencontre un berger d’ounayes à la recherche de son troupeau. Leur route croise celles d’un « bandit de grand chemin » en fuite et du « bandit de poursuite » qui le traque. Entre des échanges de dialogues savoureux où Alain Guiraudie déploie un rare sens de la fantaisie et une inventivité de langage galvanisante, sa caméra s’attarde sur les trajectoires des quatre protagonistes, jouant avec malice et intelligence du hors-champ, des perspectives et prouvant, dès les premières images, qu’il appréhende le paysage comme une donnée déterminante de son récit. Le causse donc, comme ultime nouvelle frontière, étendue plate hors des limites desquelles ne peuvent se résoudre à s’aventurer ceux qui en proviennent (les hommes) et celle qui s’y est risquée pour la première fois (Nathalie Sanchez, la coiffeuse). Leurs actions, leurs gestes, leurs sentiments et leurs paroles sont intimement liés à cette terre impossible et déserte dont ils sont les arpenteurs bavards et désillusionnés. Du soleil pour les gueux est une oeuvre insaisissable, viscéralement poétique et mystérieuse, bercée par une douce et enivrante folie. Immanquable pour ceux qui partagent une croyance en l’image.