Après l’embardée Battleship, Peter Berg poursuit l’entreprise du Royaume : délocaliser l’Ouest sauvage à Riyad ou Kaboul, et tourner un western embedded dans le parfum âcre de la poudre. D’après le dossier de presse, Berg s’est offert un séjour de plusieurs mois chez les Navy Seals pour retracer au mieux l’opération afghane Red Wings. Obsédé par le témoignage immersif et factuel, notre reporter total ne renonce pas pour autant aux codes de l’actioner vengeur, polarisé comme le western de l’âge d’or – cowboys vs. Indiens. À cette rencontre casse-gueule du document et du grand spectacle, vue récemment dans Capitaine Phillips, il faudrait consacrer un texte entier : c’est ce que fera Chro # 5, bientôt en kiosques. En attendant, regardons au moins ce que Berg, spécifiquement, ramène de son stage d’été au vestiaire des vrais durs.
Ce duel au soleil innove par le souci de distinguer les bons Indiens des mauvais. Pourtant rien, au départ, n’annonce un tel tri : tout commence chez les Seals fraternels et velus, joggant sous le drapeau ou lisant leur courrier en bougeant un peu les lèvres. La solennité avec laquelle Berg se promène dans leur base, baignée par les tons ocres du crépuscule, confine à l’ivresse patriotique. Si c’est bien le sentiment qui transporte la mise en scène, ces beaux instants rappellent aussi que les poussées chauvines d’Hollywood correspondent souvent à la simple ambition de filmer un groupe d’Américains solidaires – c’est ici le cas. À première vue, donc, aucun relativisme : l’Amérique d’un côté, la vermine de l’autre, laissée hors-champ. Puis, Mark Wahlberg et ses acolytes se retrouvent à espionner le village où loge leur cible. Alors qu’on poireaute dans les buissons en causant d’un « pur-sang arabique », le sage Wahlberg corrige : « pur-sang arabe, pas arabique ! (Arabian Horse, not Arabic Horse !) ». Tout est dit. Cultivant un distinguo sympathiquement lourdaud, Du Sang et des larmes prendra soin de ne pas se tromper d’Arabe. Wahlberg combattra avec l’aide d’une tribu afghane, qui lui révélera en somme l’idée suivante : le monde ne se divise pas entre bons et mauvais, mais entre « combattants » et lâches. En somme, Berg, à sa manière bien personnelle, signe La Prisonnière du désert version War on Terror.
Pourquoi séparer soudain barbus sympas et barbus pas sympas (façon Papous papas et Papous pas papas à poux) ? Parce que Berg est en proie au dilemme du cinéma épique contemporain : restituer fidèlement un conflit opaque, où l’Amérique cherche encore sa place (et son ennemi), sans pour autant se passer du show cathartique. De fait, Du Sang et des larmes fascine par ce paradoxe : l’inspiration journalistique se ressent partout, et surtout dans cet exposé des réalités du terrain (tous les Afghans ne se valent pas) ; mais, en même temps, la riposte explose de façon parfaitement décomplexée. D’où l’hybridité de ces images de chasse souvent magistrales, louvoyant entre distance froide du reporter et subjectivité aux abois des Seal. Celle-ci finit d’ailleurs par emporter le morceau : peu à peu, le semblant de régime documentaire s’efface. Seule prévaut alors la ferme intention de filmer autant de headshots d’enturbannés que dans Battlefield 3.
Nul doute que la main tendue aux bons Arabes sert surtout à compenser la violence de l’exutoire : une fois lavé des soupçons de fascisme, le revenge movie peut massacrer les vrais salauds en toute tranquillité. Mais les précautions « humanistes » tiennent aussi à ce drôle de phénomène : une dualité acquise de facto par les nouvelles images guerrières (de Bigelow à Greengrass), prises entre leur pulsion vengeresse et la conscience de leur manque criant de recul. Certes, Berg ne sait trop que faire de cette dualité, contrairement à ses collègues. Mais c’est bien ce qui le démarque : malgré les détours par le camp adverse et l’universalisme en toc, Berg reste un kid follement entiché de ses héros nationaux. Reconnaissons-le : depuis La Chute du Faucon Noir, on n’avait pas vu un cœur si solidement ancré dans l’équipe cowboys.