L’incroyable nullité de Donnant donnant a au moins ce mérite : révéler au grand jour les limites les plus criantes de l’entertainment à la française, surtout en matière de comédie. Le film d’Isabelle Mergault s’impose comme un archétype monstrueux, tant sa médiocrité se délivre sans retenue et procède d’une logique imparable. Impossible de voir là dedans un nanar cynique, encore moins un accident industriel, Donnant donnant est au contraire la conséquence la plus normale d’une politique de production foncièrement pleutre qui au prétexte de la liberté de l’artiste, peut aussi causer sa chute.
Comme pour les crashes d’avion, il convient d’enquêter en amont. Sur le destin d’Isabelle Mergault, l’histoire du cinéma retiendra qu’elle passa du statut de lanceuses de vannes aux Grosses têtes à cinéaste assez puissante pour s’offrir Auteuil et Azéma. D’accord, entre temps, il y a eu Je vous trouve très beau (3.5 millions d’entrées) et Enfin veuve (2 millions), mais la question de sa légitimité subsiste, Mergault ayant toujours reconnu avoir été poussée par le système à diriger ses propres scénarios, malgré ses réticences officielles. Donnant donnant traduit cette ambiguïté à la perfection. On sent bien que la mise en scène traîne ses carences, que tout est faible, consternant, mal goupillé mais qu’en même temps, rien n’est inhibé, qu’il y a beaucoup trop de certitudes et d’audace pour plaider l’erreur du débutant.
Mergault y croit donc un peu quand même, un pied dans la comédie noire, l’autre dans le film d’auteur bucolique, surfant sur la fantaisie des petites gens, la puissance de l’amour et la poésie de l’accordéon, à la manière d’un Jean Pierre Jeunet Rmiste ou d’un Patrick Sébastien version Femina. L’intrigue livre tout cela dans un bordel qui se voudrait joyeux : Auteuil qui a tué par accident son banquier, s’évade de prison et se cache dans un village dégénéré où une jeune pianiste lui propose de tuer sa mère adoptive, une foldingue dépressive (Azéma) en échange de son silence. Autour, il y a beaucoup de sociologie de bistrot (une infirmière qui ne porte pas de culotte, un coiffeur pédé) et plein de blagues Carambar, dont la majorité découle de LA grosse idée comique du film, un accident cérébral d’Auteuil en ouverture, qui le condamne tout du long à inverser les syllabes quand il parle. On passera sur la puissance dévastatrice d’une telle allégorie (un film handicapé du cerveau, il fallait oser) : sur la durée, l’effet est harassant, Mergault ne sachant manifestement pas comment l’arrêter, ni pas par quoi le remplacer pour maintenir l’intensité comique.
La trajectoire de Donnant donnant est vraiment terrible : d’une cavale pleine de promesses lyriques en ouverture (Auteuil fume la clope de la liberté dans une Clio posé sur un train de marchandise, l’un des rares plans réussis du film), le récit s’emplafonne dans un mauvais boulevard rempli d’intrigues palpitantes (« allons chercher Azéma dans sa chambre. Tiens, elle n’y est pas, essayons chez le coiffeur »), de décors très moches et d’acteurs ultra mauvais, Auteuil compris : ventripotent, rougeau, goitreux, obligé de parodier les rôles de sa jeunesse, il n’a certainement jamais été aussi mal filmé de toute sa carrière.