Avec Aniki, mon frère, son précédent long métrage, Takeshi Kitano tentait de donner un second souffle à ses histoires de yakusas désabusés en les transplantant aux Etats-Unis. Si la greffe ne prenait qu’à moitié -les rouages de la mécanique étant bel et bien usés-, le film n’en perpétuait pas moins le savoir-faire de son auteur en matière de mise en scène elliptique et d’humour noir. Dolls représente quant à lui un changement de cap total, en soi une bonne nouvelle puisqu’elle permet à Kitano d’éviter le principal écueil qui guettait son cinéma, la redite. Inspiré des histoires de Chikamatsu, l’un des plus grands auteurs du théâtre de Bunraku -cette forme de spectacle traditionnel nippon interprété par des marionnettes-, Dolls est l’occasion pour le cinéaste d’aborder un univers inédit, plus proche du conte moral symbolique que de ses polars sanguinaires. Divisé en trois parties, le récit suit les mésaventures de plusieurs protagonistes : un couple de vagabonds relié par une corde condamné à errer ensemble sur terre, un otaku qui se crève les yeux pour rencontrer une chanteuse pop défigurée, un vieux chef yakusa qui retrouve celle qu’il a toujours aimé puis la reperd… A travers ces histoires d’amour tragiques, Kitano a voulu rendre hommage au théâtre Bunraku dont il transpose les thèmes principaux en tentant d’en restituer l’essence. Mais, ici le procédé prend le pas sur l’émotion et Dolls demeure un spectacle aussi figé qu’une série de jolies vignettes.
Dolls est sans doute le film le plus soigné de Takeshi Kitano. Chaque plan, chaque image semble avoir été pensée avec un extrême souci de l’harmonie des couleurs : des rouges à profusions, des dégradés de marron quand c’est l’hiver, les cerisiers en fleurs pour le printemps, etc. Kitano avoue même avoir parfois changé de décors pour que ceux-ci s’accordent mieux avec les somptueuses tenues du styliste Yoji Yamamoto portées par ses personnages. De ce point de vue, Dolls s’apparente plus à un film de graphiste ou de designer que de cinéaste. Car au niveau de la mise en scène, le cinéaste fait preuve d’un manque flagrant d’inspiration comme s’il s’était laissé débordé par la composition méticuleuse de ses plans. Kitano se contente de placer ses protagonistes au centre de ses magnifiques tableaux sans vraiment se soucier du rythme ou du découpage. Du coup, Dolls se laisse regarder comme on feuillète distraitement un beau livre d’images, une expérience un peu frustrante pour les fans du réalisateur de Jugatsu ou Hana-Bi…