Pour son premier film, Hassan Yektapanah -assistant d’Abbas Kiarostami- n’a pas cherché à cacher l’influence du maître. « Abbas Kiarostami m’a appris comment regarder et penser le monde. C’est pour cette raison que je ne peux ni ne veux sous-estimer son influence sur Djomeh. » Il est vrai que la manière d’appréhender personnages et paysages, de les fondre dans un même rythme, une même existence tranquille et trompeuse, suggère d’avantage qu’une affinité de style. Mais paradoxalement, la mise évidence de cette filiation permet bien vite de l’oublier pour se concentrer sur l’originalité de Djomeh, première oeuvre par ailleurs maîtrisée et personnelle.
Djomeh est un immigré afghan de 20 ans. Il travaille dans la laiterie de Mahmoud, dans la campagne iranienne. Durant les longs trajets en fourgonnette pour livrer le lait au village, Mahmoud -la cinquantaine, célibataire- et lui font peu à peu connaissance. Djomeh, très seul dans son pays d’accueil (Habib, l’homme qui l’a accompagné est sévère et rugueux), essaie d’en faire son confident. Une forme d’amitié s’installe entre eux. Djomeh tombe amoureux de la fille de l’épicier, et espère que Mahmoud acceptera de lui servir de père pour demander la main de la jeune fille. Mais le laitier fait la sourde oreille…
Film secret et délicat, Djomeh envisage l’immigration non pas sous l’angle politique, mais comme le prolongement d’une solitude initiale. Djomeh tombe amoureux, comme il l’était déjà d’une femme plus âgée dans son pays, ce qui l’a conduit à en partir. « Partout où tu arrives, il faut que tu tombes amoureux », lui reproche Habib. Peu importe la fille (elle n’a que 17 ans et parle très peu), le mariage est pour Djomeh un moyen de s’implanter, d’exister aux yeux d’une communauté pour laquelle il reste un étranger. D’ailleurs, l’enjeu de l’histoire n’est pas entre le garçon et la fille, mais entre l’employé et son patron. Mahmoud est seul, mais ne parvient pas à s’abstraire des convenances sociales et professionnelles. L’intelligence du film est de ne pas porter de regard critique sur ce patron sympathique, mais d’imputer son attitude à la naïveté de Djomeh, plein d’illusions (mais d’illusions plutôt fondées) sur ce que sont et doivent être les rapports humains. La grande réussite de Djomeh est donc dans ce déplacement vers une question plus essentielle que le sentiment amoureux, qui est celle de la liberté, que Djomeh s’accorde et que Mahmoud se refuse. Filmés à hauteur d’homme, les acteurs sont magnifiques. Jamais le réalisateur ne délaisse leur visage, leurs gestes, leurs paroles, pour montrer avec évidence ce qui les réunit puis, brutalement, les sépare. La leçon d’espoir dite à la fin n’entrave pas l’intense amertume qui s’en dégage. On ne s’en étonnera pas, car au fond, retranché derrière son anecdote et l’humanité de ses personnages, Djomeh dénonce la plus terrible et la plus répandue des impuissances.