Au programme de Disparitions, la dictature argentine des années 70-80 vue par la frange libérale d’Hollywood. Antonio Banderas joue un directeur de théâtre pour enfants soucieux de contourner la censure comme il peut. Sa femme (Emma Thompson), une journaliste d’investigation, prend moins de pincettes. La conséquence est sans appel : une bande de brutes anonymes la kidnappe sauvagement chez elle, après un papier virulent sur les séquestrations fomentées par le gouvernement. Commence une longue quête pour son mari qui dans la foulée s’aperçoit qu’il possède un don extralucide. Pour les familles de disparus, l’homme devient pythie et martyr, seul à ingérer un flux d’images atroces qui concerne un pays entier.
Scénariste qui a connu sa petite heure de gloire dans les années 90 (Carrington et Les Vestiges du jour), Christopher Hampton n’y va pas avec le dos de la cuillère question symbolique. A tel point que la pilule coince parfois : difficile d’accepter les multiples conventions qu’imposent le film, comme par exemple l’idée d’une Argentine anglophone (avec soyons réaliste, l’accent hispanique de rigueur) et ce nappage fantastique sur signifiant. Il n’empêche, le classicisme de la mise en scène parvient à tenir correctement l’ensemble. Hampton balise son film d’attaches solides : reconstitution au cordeau, décors souvent naturels (les rues de Buenos Aires), personnages bien dessinés, Disparitions déploie l’archétype d’un naturalisme ronronnant qu’Hollywood n’a jamais vraiment adopté, lui préférant l’âpreté des ficelles du thriller. Le film devient d’ailleurs bien pataud quand il renoue avec l’action, revenant au catalogue des exactions exotiques et à l’héroïsme éprouvé des plans d’évasion.
C’est davantage le style des productions internationales du cinéma gauchiste des années 60-70, que le cinéaste ressuscite. Même souci d’exactitude historique que Francesco Rosi (lieux, mis à morts et pratiques des camps de concentration), même volonté d’élégance, et surtout même structure fiévreuse à la Joseph Losey, où l’archi-concret se délite dans un abîme de mystère. Ici, l’enquête de Banderas, pourtant limpide dans son but (retrouver sa femme) mais béante au fur et à mesure de son évolution, ouvre à la mise en scène des perspectives inédites. D’abord purement oniriques, les images se matérialisent et se changent en saillies menaçantes (la morsure du chien, beau moment), ou se retournent comme un gant (le havre de paix où des rescapés de la Shoah élèvent des oiseaux). Idem pour le personnage d’Antonio Banderas, sujet perdu dans un jungle de perversité, à la fois guide et pantin, manipulé par le système dès qu’il croit s’en libérer. Belle complexité donc, pour un genre souvent gâté par le manichéisme humanitaire des people.