L’univers du rock est impitoyable. Prenez deux groupes « jumeaux », suivez leur parcours contrariés et vous obtenez DiG !, curieux documentaire travaillant à plein les mythologies rock comme autant de figures imposées. Pourtant, ce jeu de vases communicants entre deux groupes, The Brian Jonestown Massacre et les Dandy Warhols (dont les leaders respectifs sont des frères ennemis) réussit, par cette friction de deux lignes, à renouveler tout ce que l’imagerie rock a désormais de compassée. D’abord parce qu’il ne s’agit pas de deux stars disparues, mortes, trônant sur quelque autel doloriste (on attend impatiemment le dernier film de Gus Van Sant, Last days, pour se prononcer plus avant sur cette question) mais bien de deux groupes vivants, chez qui la mythologie n’a en principe pas encore déposé son scintillement mordoré et mortifère. A cela, la réalisatrice lui oppose une temporalité au présent dans laquelle tout est possible, les espoirs de réussite comme les brusques coups du sort. Nulle conscience a priori du déroulé de la chose rock ici. Et pourtant.
Pourtant un trouble naît de la confrontation d’une réalité documentaire où, a priori, rien n’est joué d’avance, avec la reconduction de deux destinées rock charriant les clichés attendus du genre. Comme si un maléfice infernal s’emparait de quiconque s’engouffre dans cette folie là, un maître de marionnettes faisant s’agiter avec délice des humains trop faibles pour résister à la gangue mythologique de l’Histoire du rock. Tout y passe, du chanteur suicidaire des Brian Jonestown Massacre, Anton Newcombe, invectivant son public et ses musiciens du haut de son génie maladif, courant à la perte de son groupe en dépit de son talent, aux Dandy Warhols, bons élèves au succès rapide et néanmoins conscients de la supériorité créative de leur « adversaire », obligés de transiger à contre coeur avec le grand capital, ce vampire liberticide et séduisant. Le tragique de cette double aventure ? Mesurer combien la reproduction du même est une irrépressible compulsion, combien les clichés auxquels on croyait échapper sont là, tapis dans un coin, prêts à brûler votre destinée. Nulle pose ici (malgré Anton Newcombe, répondant trait pour trait à l’image de l’artiste maudit responsable de son propre malheur), mais au contraire une matière vivace qui donne toute leur profondeur aux clichés. DiG ! est formellement hétérogène, furieux mais trop brouillon sans sa facture pour convaincre complètement. Ce qui ne l’empêche pas, deux heures durant, de se livrer à une fascinante et terrifiante démonstration de déterminisme. Parcours en terrain connu donc, en même temps que tenace impression d’éprouver l’étrangeté si particulière des répétitions insensées.