D’abord, il y a le plaisir de retrouver Bill Plympton, maverick précieux d’une animation artisanale et « adult-oriented », prodigieusement inventive, à situer quelque part entre, mettons, Tex Avery et Picha. Des idiots et des anges fait suite, après une poignée de courts métrages, au beau Hair high, film-somme planté dans les 50’s américaines et qui, en salles, fit un four. C’est cet échec cuisant (Hair high était son plus gros budget) qui, dit-il, a fait s’atteler Plympton à ce film délibérément lo-fi, sans dialogues, et enroulé autour d’un récit nettement moins foisonnant. Un petit cadre ronchon et misanthrope s’y réveille un matin emplumé contre son gré, son dos garni d’une paire d’ailes angéliques dont il tente en vain de se débarrasser. Les ailes veulent le Bien, lui n’en a cure : dilemme.
Des idiots et des anges à la fois se resserre sur quelque chose de typiquement plymptonien, et s’en tient étonnamment à l’écart. Plymptoniennes, les ailes d’ange traitées ici comme tumeur : toujours, chez Plympton, les corps s’auto-produisent comme un inépuisable vivier d’excroissances, de mutations depuis quoi le récit avance, se tord, se transforme sans discontinuer. Il faut avoir vu le fulgurant « Your face » (un court métrage qui lui valut à l’époque une nomination aux Oscars) pour saisir le génie d’une pareille méthode, où le corps, de figure, devient un pur outil de montage. Cet art est intact ici, renforcé même, d’une puissance assez saisissante.
Deux choses surprennent un peu plus. D’abord, Des idiots et des anges semble le premier long métrage de Plympton à se désintéresser complètement de la culture américaine, disséquée de The Tune à hair high. Le dessin s’en ressent, son lavis brun et poisseux vise un imaginaire est-européen, Plympton cite Svankmajer, Kafka. C’est loin d’être laid, mais l’univers de Plympton se voit, ainsi, propulsé sur une pente « poétique » qu’on goûte un peu moins, une tendance Carot / Jeunet un peu inquiétante. C’est une question de récit aussi, et c’est la deuxième surprise, cette parabole un peu couillonne (le grand combat du Bien vs. le Mal à quoi se résume l’intrigue) à laquelle il se tient d’un bout à l’autre avec une étonnante application. Les longs métrages de Plympton ont toujours essuyé le même genre de critiques, accusés d’être une enfilade de trouvailles, une débauche anarchique d’idées sans réel fil conducteur. C’était pourtant leur atout principal, cette espèce de progression tumorale et fofolle, à la limite du cadavre exquis, et on est en droit de regretter le récit un peu trop sage délivré ici. Reste que le succès annoncé de Des idiots et des anges (encensé au festival de Tribecca, le film devrait très bien marcher aux Etats-Unis, et jouir de la vague mondiale amorcée par Valse avec Bashir ou Persepolis), constitue, s’il doit remettre Plympton sur les rails, une nouvelle dont on aurait tort de ne pas se réjouir.