Comment un film au titre si rayonnant et si mystérieux a-t-il pu rester aussi longtemps enfoui ? Cet étrange oubli est enfin réparé par une ressortie en salle du chef-d’œuvre de l’acteur-réalisateur Paul Newman. De ce golden boy aux yeux bleus, descendant de James Dean et disciple de l’Actors’ Studio, on connaît le physique de playboy et les rôles de rebelles tourmentés. Ce qu’on sait moins, ou pas du tout, c’est que ce grand acteur d’Hollywood a réalisé six films entre 1968 et 1987. L’affaire est d’autant plus intrigante qu’il a pour muse dans chacun d’eux, de Rachel, Rachel à La Ménagerie de verre, sa propre femme, l’actrice Joanne Woodward avec laquelle il a partagé quelques rôles à l’écran. L’actrice à l’air moqueur et le réalisateur nonchalant forment un couple parfait à la Cassavetes / Rowlands. Plus confidentielle, leur collaboration devrait avec cette ressortie retrouver toute l’attention qu’elle mérite. Totalement hors système, tourné en famille (leur fille se joint à la troupe sous le petit nom de Nell Potts), De l’influence des rayons gamma… accomplit une alchimie miraculeuse.
On pense à Wanda de Barbara Loden (1974) et à Une Femme sous influence de Cassavetes (1975). Comme ces héroïnes, Beatrice est une femme au foyer qui finit par battre la campagne, l’air goguenard, mains sur les hanches et pieds en canard. Elle élève seule ses deux filles, Matilda, 13 ans, et Ruth, 17 ans, dans une vieille bicoque. Ultra-énergique, étourdissant, le jeu de Joanne Woodward est une suite de hurlements, de piques et de colères. Cette femme qui ne tient pas en place mais qui pourtant n’a jamais bougé d’un poil finit comme par entropie par tourner à vide. Le huis clos mère / filles, la petite scène de la maison, les tirades saturées de Beatrice, laissent attendre une chronique façon Tennessee Williams. Mais le film change de cap. Maintenues au fond, littéralement écrasées par une mère trop voyante, les deux filles passent progressivement au premier plan. C’est vers la petite dernière que le trajet nous conduit : Matilda (Nell « Potts » Newman), enfant sereine et fermée, magnifiquement filmée par son père, seule tête blonde de la maison, aussi mutique que sa mère est loquace. La petite fille vient rompre le cercle de l’enfermement, elle amène l’univers dans la maison et cultive la vie dans un foyer où de vieux pensionnaires viennent mourir. L’enfant apprentie naturaliste tient calmement dans la tourmente entre son lapin blanc et ses fleurs radieuses. Avec cette Alice aux marguerites, l’imaginaire enfantin recouvre le film de magie et ouvre le drame familial au dehors.
Paul Newman accompagne ses marguerites entre trois âges avec un lyrisme retenu et une mise en scène très sobre. Ce principe d’économie redouble l’émotion, révélant des immensités d’angoisse ou d’espoir là où on ne voyait que le cours tranquille d’une famille bancale. Progressivement, un par un, le film éclaire le jardin secret de chacun des personnages, effeuillé tour à tour jusqu’au cœur. Porté par une conviction bouleversante aussi posée que les certitudes enfantines, De l’influence des rayons gamma… rayonnera encore longtemps.