Chro : It follows s’inscrit naturellement dans la continuité de votre précédent film, The myth of the American sleepover, qui n’était pourtant pas un film d’horreur. Mais à différents égards, vous y filmiez les émois adolescents d’une manière qui pouvait rappeler le protocole de films comme Halloween, auquel on pense beaucoup ici.
Robert David Mitchell : C’est amusant, vous n’êtes pas le premier à me dire ça. Je n’en ai pas eu vraiment conscience en tournant The Myth…, mais en effet beaucoup de gens m’ont dit y avoir ressenti une grande tension. C’est lié, j’imagine, au fait que j’ai grandi avec des films comme Halloween, et c’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie de réaliser un vrai film d’horreur. J’avais l’idée de It follows en tête depuis très longtemps. Et quand j’ai fini par écrire le script, mon monteur, Julio Perez, m’a fait le même genre de remarque : pour lui le film était une suite, ou une sorte de remake sombre du premier. Je crois que cela tient au fait que, d’une certaine manière, j’ai repris les mêmes personnages. Ils sont ici confrontés à un enjeu fantastique, mais je tenais à ce que le film garde un peu de la teneur naturaliste du premier.
Un autre point commun entre les deux films est que les parents en sont totalement absents…
Pour différentes raisons. Dans The Myth…, c’était un moyen de rendre cette histoire un peu magique, et de se concentrer sur une liberté propre à l’adolescence. C’est comme dans Peanuts : on devine la présence des parents alentour, mais on ne les voit jamais. C’était une manière d’isoler les adolescents, pour une raison positive, disons. Tandis qu’ici la raison est « négative » : il fallait suggérer que personne ne peut les aider, ni même les comprendre. Et plutôt que les filmer en train de supplier des adultes de les comprendre, il me semblait plus judicieux de les montrer livrés à eux-mêmes.
C’est précisément le sentiment que pouvaient donner des films comme Halloween, ou Les griffes de la nuit…
Bien sûr, et It follows s’en inspire délibérément. Ainsi que de l’Invasion des profanateurs de sépulture, Blue Velvet, et d’autres films avec lesquels j’ai grandi.
L’idée de ces silhouettes qui s’avancent inexorablement depuis le fond du plan évoque aussi une séquence, célèbre et terrifiante, de L’Antre de la folie…
Vous avez raison ! À vrai dire, je n’y avais pas pensé. Mais j’aime tellement le cinéma de Carpenter que ces images sont restées, j’imagine, dans un coin de ma tête. C’est vraiment un immense metteur en scène, quelqu’un qui a un sens de la composition absolument remarquable.
On sent justement que vous avez mis un soin particulier à la composition de vos plans. Le décor y est balisé de manière très rigoureuse, beaucoup plus que dans la plupart des films d’horreur contemporains.
Nous y avons beaucoup travaillé. C’était pour moi un enjeu majeur, dès l’écriture du script. Et nous avons par la suite, mon chef opérateur et moi, storyboardé tout le film, parce que nous savions qu’il nécessiterait un travail visuel très minutieux. Dans The Myth…, la caméra était beaucoup plus subjective, il y avait beaucoup plus de gros plans : nous en avions besoin pour connecter de nombreux personnages. Or, ici, il y a à nouveau un groupe mais les événements sont perçus essentiellement à travers les yeux du personnage principal. Et le film nécessitait un point de vue plus froid, plus « objectif ». C’est la raison pour laquelle la moitié des plans a été tournée au 18mm. Nous voulions des cadres plus longs et ouverts, il nous fallait de la distance dans le plan, afin que le public soit obligé de rester constamment à l’affût. Qu’il soit obligé d’étudier les plans, que le moindre figurant y soit une source potentielle de peur. Les soupçons du public devaient pouvoir se porter partout, sur la moindre silhouette.
D’où vient cette idée ?
De plusieurs choses, mais cette peur d’être suivi par quelqu’un trouve sa source dans un cauchemar que je faisais enfant. Ce cauchemar m’a hanté longtemps, et j’ai eu assez tôt l’idée de faire un film autour de cette idée-là.
Cette idée très abstraite ouvre naturellement le film à de nombreuses interprétations… Beaucoup de gens à la sortie de la projection ont vu dans le film une métaphore des années Sida. Mais d’une manière plus générale, ce que se transmettent ici les adolescents, c’est au fond la peur elle-même.
Beaucoup de gens ont fait cette lecture en effet, autour du Sida. Et c’est une interprétation valide évidemment, même si ce n’est pas précisément ce à quoi je pensais. J’avais plusieurs choses en tête en écrivant le film. Je crois qu’il parle aussi du rapport entre la ville et la banlieue. La question du déclin, d’une manière générale, de la perte… Et la façon dont les gens sont connectés : par l’amour, par le sexe, aussi bien que par la peur.
La question de la banlieue, ces banlieues pavillonnaires typiquement américaines, est en effet centrale dans It follows. Comme elle l’était dans votre précédent film, et comme elle l’est dans ceux de Carpenter ou Craven…
J’ai grandi dans la banlieue de Détroit, où se déroule It follows. Et par ailleurs, ma cinéphilie s’est mise en place à une époque où les films ont fait de ces décors un enjeu fort. Si bien que cela renvoie doublement à mon enfance. Je me suis toujours senti bien, dans cet environnement. Pour moi, enfant, c’était un décor un peu magique. J’adorais l’idée de déambuler dans les rues, d’explorer le voisinage, m’aventurer dans la forêt alentour, dans les herbes hautes ou dans une maison en construction, couper par le jardin d’une maison et épier au passage ses habitants… C’est comme ça que les enfants explorent le monde. Une fois adulte, vous n’avez plus l’autorisation de faire ces choses-là, les gens appelleraient tout de suite les flics. Mais en tant qu’enfant, on a cette liberté-là, qui est le meilleur des apprentissages. J’ai beaucoup repensé à ça en faisant le film.
C’est à cela que l’on pense face à ce plan très beau qui voit deux adolescents observer à travers la fenêtre du salon ce qui est en train de se passer dans la rue. Et c’est d’ailleurs, à nouveau, une scène qui renvoie à Halloween…
Voilà, c’est tout à fait ça. Et par ailleurs, comme je vous le disais, au même âge je tombais amoureux de films situés dans ce genre de banlieues – même s’il s’agissait plutôt de banlieues californiennes. Les films produits ou réalisés par Spielberg, E.T., Poltergeist, Les Goonies… La magie de ces quartiers, c’est quelque chose qui s’est inscrit durablement dans mon cerveau.
Avez-vous lu Black Hole, la bande dessinée de Charles Burns ?
Absolument ! C’est merveilleux. Beaucoup de gens m’ont posé la question. Je ne l’ai pas relue depuis longtemps, mais je me rappelle avoir été complètement ébloui. Je sais qu’il avait été question un temps que David Fincher l’adapte au cinéma. Je crois qu’il y a finalement renoncé, mais il aurait été le meilleur cinéaste possible. Je revois régulièrement Zodiac, et je crois c’est l’un des plus beaux films qu’on ait produit depuis très longtemps – en tout cas, l’un des plus beaux films sur la peur.
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