Abe, vieux garçon en survêt’ et sosie de Shrek, travaille mollement pour son père, chez qui il vit et collectionne des figurines Simpsons, jusqu’au jour où il rencontre Miranda, fille à problèmes qu’il épouse comme par erreur. Abe est donc un loser solondzien, mais pourrait aussi bien débarquer d’un feel-good movie post-Apatow, d’un roman de Houellebecq ou d’un épisode de Eastbound and down. Tout l’enjeu du film devrait donc consister à s’approprier ce nounours piteux, à le distinguer des hordes de nerds ventrus qui sévissent dans l’imaginaire contemporain. Seulement voilà, Solondz, en bout de course, semble pétrifié par une terrible panne de méchanceté.
Lorsqu’il touchait au teen-movie dans les années 90 (Bienvenue dans l’âge ingrat) ou au film-choral (Happiness, délicieux Short cuts au bord du gouffre), Solondz ne reniait jamais son ambition première : tourner une véritable saloperie, torturer ses jouets moches et pathétiques, mais en les chérissant. Bien que toujours en empathie, il ne les excusait jamais d’être des ratés finis, et lorsque ceux-ci entrevoyaient une lueur d’espoir, une minuscule porte de sortie, Solondz la leur refusait : c’est bien cette absence totale d’hypocrisie envers ses personnages qui rendait le cinéaste humain, cruellement humain. Il a aujourd’hui disparu, ce gamin amoureux des insectes qui arrachait les ailes des mouches : Solondz a grandi, et il est devenu hypocrite. En se réfugiant sur les terres d’Apatow (où va la vie après trente-cinq ans ?), il ne fait qu’exposer gravement un problème existentiel déjà dilué dans la fantaisie quasi dada de Ferrell et consorts, ou sublimé par le spleen doux-amer de Greenberg : l’aveu d’échec du mâle américain, désigné comme poulain prometteur par la génération au-dessus, mais incapable d’honorer son pedigree. L’état des lieux se répète donc, dans un esprit de sérieux jamais vu chez lui auparavant : au lieu de ricaner du sort de ses bras cassés, il épouse complètement leur mal-être, et met dans la bouche d’Abe des constats atrabilaires que lui-même semble partager, sur le mode « de toute façon, on est toujours seul ». On est loin du « Happiness, where are you ? » que Solondz faisait chanter à la demi-gourde de Happiness, conscient de ce que l’interrogation avait, en soi, de tragiquement désopilant.
Plus fâcheux encore : pour se dépêtrer d’un scénario balisé, tout tracé (chez Solondz, l’échec ou l’issue fatale d’un geste sont toujours scellés d’entrée de jeu), Dark horse improvise cahin-caha un tour de force narratif, qui se voudrait aussi subtilité de mise en scène : Abe vire schizo, et se met à vivre plusieurs versions de son quotidien – son Toys R’Us devient alors le théâtre de ses projections mentales toutes dégingandées. Embardée paresseuse qui n’évite même pas l’écueil redouté : la mort, qu’on avait connue plus pétillante chez Solondz, s’invite comme un couperet accusateur, munie d’une épitaphe implicite mais moralisatrice – en substance : laisse pas traîner ton fils.