Dark blue est, à bien des égards, l’un des meilleurs « petits » films de l’année : un polar de haute tenue jouant sur plusieurs niveaux de narration (action, mélo familial, background politique) sans jamais perdre de vue son horizon (l’efficacité dramatique à tout prix). En 1991, alors que les émeutes menacent Los Angeles, une brigade spéciale de policiers complètement corrompus implose lors d’une affaire de quadruple homicide mouillant un supérieur jusqu’au cou. Sur le mode du buddy movie (un vieux lion hyper-violent, Perry / Kurt Russell, flanqué d’un jeune recrue illusionnée, Keough / Brendan Gleeson), le film de Ron Shelton saisit par sa façon de feindre de courir une multitude de lièvres à la fois (morcellement narratif, passages incontrôlés d’une scène à une autre) tout en maintenant une tension sèche et tendue d’un bout à l’autre du film.
S’il utilise l’affaire Rodney King comme toile de fond, Shelton se garde de tout sociologisme monstratif et de tout didactisme : le racisme des flics, la compromission absolue des indics, la ville prête à exploser, tout ici est abordé sur un mode fictionnel, dans le seul but de donner à l’intrigue une épaisseur, une densité peu communes dans le melting-pot aseptisé des polars tendance du moment (le syndrome Heat sans Michael Mann : des beaux plans, Al Pacino, et le tour est joué). Shelton se démarque du tout-venant par sa façon de ne jamais verser dans l’emphase esthétique, de toujours revenir à l’essence de la série B : concision et sécheresse des détours, jeu de dupes et sublimation de la norme. Son style ne cherche jamais l’élégance mais une sorte d’incandescence des artifices mis à sa disposition. Vers la fin, on apprend par exemple par le biais d’une radio, furtivement, le résultat du procès des tabasseurs de King : « acquittés ». Toute l’explosion finale peut commencer. Evidence : il y a plus de cinéma dans l’efficacité du moindre raccord de Dark blue que dans tous les plans-séquences réunis de Traffic.
De la même façon, le choix d’un Kurt Russell, phénoménal du début à la fin, dit bien l’ambition absolument sympathique d’un tel film : non pas la démonstration (on imagine l’allocution finale du héros sur l’état de pourriture de la police californienne avec un Kevin Costner ou un Michel Douglas) mais une sorte de nihilisme light et franc-tireur, plus jouissif que réellement désespéré. Non qu’il n’y ait là une certaine gravité, mais avec toujours cette impression que compte au moins autant que la prégnance du discours, le fun et le rendu dramatique. C’est bien à John Carpenter, avec un peu moins d’élégance peut-être, que renvoie ce cinéma-là : ludique et politique, jubilatoire et sans concessions. Mille fois plus « sérieux », au fond, que n’importe quelle baudruche de Christopher Nolan ou de Steven Soderbergh.