On sait bien quel tapage invraisemblable le gloubiboulga ésotérique de Dan Brown a fait un peu partout sur la planète. Roman de gare que ce Da Vinci Code, ce qui n’a rien de honteux. Ce qui est plus inquiétant, sinon affligeant, c’est le bruit fait autour, quand on sait combien de gros malins ont pris les inventions de l’auteur pour argent comptant et regardent désormais d’un mauvais oeil le curé de leur paroisse. Le bouquin (pas lu, on précise, mais on s’en fout, on parle du film) d’ailleurs se rattache à une vaste tradition de fantaisie autour des bondieuseries qui pour le meilleur et pour le pire, de Borges à Dan Brown, a inspiré des milliers de récits et de théories fumeuses ou pas (pour info, l’hypothèse d’un Jésus acoquiné avec Marie Madeleine n’est pas née de l’imagination de Dan Brown, par exemple). Si l’on ne franchit pas le seuil de la bêtise et de l’ignorance, de telles histoires peuvent valoir leur pesant de cacahuètes en termes de plaisir de lecture, l’ésotérisme restant une valeur porteuse de l’imaginaire. Mais Da Vinci Code est réalisé par Ron Howard. Voilà, on pourrait s’arrêter là, car tout est dit. Le tâcheron le plus successful de Hollywood n’est pas un champion, on le savait, et le film est bien le nanard attendu.
Deux choses frappent immédiatement. D’abord, on sent le gros gros désarroi du réalisateur qui visiblement n’a pas la moindre idée pour filmer son histoire. Forcément, l’histoire, c’est : Audrey Tautou et Tom Hanks se retrouvent devant une relique, se pincent les lèvres, résolvent l’énigme et, toujours portés par une musique pâtissière, changent d’église pour recommencer la même situation (pendant 2h35, c’est un chouia long). Donc Howard, pas le plus imaginatif des cinéastes non plus, n’a d’autre recours que tout filmer en plans serrés sur des dialogues assez peu resplendissants de vivacité intellectuelle. Pour occuper le terrain, il a recours à de rigolos flash-backs Futuroscope qui racontent les Croisades, la conversion de Constantin, la vie de Marie-Madeleine, etc. Parce que l’idée, c’est quand même que tout le monde comprenne et suive à peu près cette histoire où trempent les templiers et Léonard, Newton et l’empereur Constantin, Jésus et Ieoh Ming Pei. D’où de longues séquences de cinéma Powerpoint, avec Audrey Tautou, pas aidée, la pauvre, en guise de candide sur l’air de : « mais alors Jésus et Marie-Madeleine, crac-crac ? ».
Ensuite, plus étonnant, Da Vinci Code est un film en carton, dont on décroche au bout de trois plans, dès la course de Jean-Pierre Marielle dans les couloirs du Louvre, filmée de traviole et aussi palpitante et captivante qu’une scène de bilboquet dans Jacquou Le Croquant. Or, la force du cinéma américain, c’est quand même cela : nous faire croire à ses histoires, faire exister les situations les plus abracadabrantes selon un principe de plaisir jamais négligé. Là, c’est plus difficile, pas seulement parce que les comédiens sont très mauvais et pas du tout concernés par ce qui arrive, et que le film est mou comme une chique. L’ange exterminateur albinos dépêché par l’Opus Dei pour zigouiller les initiés au secret, avec son portable et ses sandalettes, filant sur le périph’ dans sa Renault Mégane, ça le fait moyen. Jean Reno et Etienne Chicot en flics imposent immédiatement une ambiance de pot de retraite chez le commissaire Moulin. Et la grosse révélation du scénario, on la devine au bout d’une demi-heure si l’on n’est pas trop endormi. Mais Tom Hanks, avec son charisme végétal, met un bon quart d’heure à l’expliquer à une Audrey Tautou un peu lente à la détente, par la grâce d’un dialogue tout en trous et points de suspension du plus grotesque effet, surtout que ladite Tautou accueille la nouvelle (qui la concerne un peu, quand même, et qui n’est pas chose courante) avec guère plus de stupéfaction que Francis Llacer découvrant qu’il ne figure pas dans la liste des 23 -sommet du film, et rires dans la salle, forcément.