Avant Blueberry, Jan Kounen est parti s’imprégner de chamanisme en Amazonie. Il a ramené de cette expérience ce documentaire qui peut être vu, à rebours, comme le brouillon spirituel de son délirant projet. Le pitch : Kounen s’embarque pour une expérience sans retour au bord de l’Amazone péruvien, à la rencontre de puissants chamanes qui lui permettront de filmer une cérémonie durant trois jours. Lui-même raconte sa propre expérience de « mort imminente contrôlée », aux frontières de la mort mentale, là où la pensée se désolidarise de la conscience pour pénétrer une autre réalité. Comme Blueberry, D’autres mondes touche immédiatement par son intégrité, la manière éminemment naïve du cinéaste, au sens noble, de se livrer tout entier à son film.
Si les procédés sont proches du tout-venant documentaire (interviews croisées d’indigènes et de scientifiques), la voix-off de Kounen permet de désamorcer toute approche folklorique au profit de la description à la vie à la mort d’une expérience vécue intimement. Les phrases coulent magnifiquement, épousant le battement de la transe, et elles sont redoublées par des visions étranges (qui seront plus tard celles de Blueberry) : serpents en double-hélice et crocodiles aux écailles de rubis et d’émeraude, fractales multicolores en images de synthèse qui, loin de n’être qu’un apparat un peu cheap, font office de véritables films dans le film. Leur mode de fonctionnement, avec sa vitesse particulière, son déroulement propre, n’est rien moins que le récit inversé du film, son mouvement intérieur et sa quintessence secrète. Il faut louer le pari de Kounen, qui n’est pas tant de faire l’apologie des psychotropes que de présenter un autre modèle, marge sociétale approchée avec une pudeur, une douceur proprement stupéfiantes.
De la même façon, inutile de souligner l’innocence parfois fébrile de la narration : elle est un simulacre, une posture permettant de laisser le sujet travailler de lui-même, hors de toute prosternation. Kounen joue plutôt la carte de la fascination, où l’esprit critique et le retrait participent d’une perpétuelle mise à plat des expériences engrangées. Le résultat est étrange, parfois ambigu, toujours émouvant. Venant d’un réalisateur dont on n’attendait plus rien du tout après Doberman, la surprise est de taille. Elle confirme, après Blueberry, que Kounen n’est pas qu’un méchant chien fou. Pour le coup, c’est presque le Pérou.