Très vite, la question s’impose : Cuba mon Amour est-il ou n’est-il pas un documentaire ? A cela, le réalisateur Carlos Marcovich ne répond qu’à moitié, je cite : « C’est du documentaire parce que tout est vrai, et c’est aussi de la fiction dans la mesure ou tous ceux qui y participent sont en train de jouer un rôle, leur propre rôle. » Parti il y a quelques années tourner un clip vidéo à La Havane avec le top model Mexicain Fabiola Quiroz, Carlos Marcovich aperçoit dans un bus une jeune Cubaine, Yuliet Ortega, ressemblant beaucoup à Fabiola. Sans hésiter, il lui propose de jouer dans son clip le rôle de la sœur du mannequin. La Cubaine accepte, fait connaissance avec le réalisateur et se met à lui raconter sa vie. Quelques semaines après la fin du tournage, Carlos Marcovich décide de faire de la vie de Yuliet, fille dotée d’une personnalité dévastatrice, son 1er long métrage.
L’analyse d’un film comme Cuba mon Amour est délicate, car elle requiert plusieurs interprétations… Il y a d’abord une ambition purement documentaire, un travail somme toute classique consistant à filmer Yuliet, son quotidien misérable et son histoire peu enviable (son père l’a abandonnée dès sa naissance, sa mère s’est suicidée peu après, etc.) dans le but de nous sensibiliser indirectement à la situation sociale de Cuba dans sa globalité : une manière plutôt conventionnelle mais efficace de passer de l’individu au grand nombre. Reste que ce film en cache un autre, dont résultent à la fois l’originalité et les failles de Cuba mon amour : on sent très bien dans ce film le désir qu’a le cinéaste de mettre en scène la réalité, et surtout d’intervenir sur ce qu’il filme, comme si l’œil de la caméra était celui d’un personnage présent au même titre que les autres. Le film oscille continuellement entre l’envie de filmer et celle de vivre ce qui se passe, jusqu’à immiscer dans nos esprits l’idée (contradictoire) d’une « caméra subjective documentaire ». Il est des moments où la caméra sait se faire oublier (durant une dispute, etc.), d’autres où elle tient à faire partie de la situation (la caméra vient harceler Yuliet, qui lance des cailloux vers l’objectif en riant…). Derrière son envie construite et objective de cinéaste documentaire, limitée à la personne de Yuliet, on sent rapidement la passion qu’a Carlos Marcovich à filmer Cuba, son aspiration à exister en tant qu’être humain mêlé à la foule de La Havane. Au résultat, un film rapide, monté nerveusement, et qui ne se limite pas aux récits de Yuliet et des membres de sa famille : les passants, les vieilles, les enfants, les touristes, tous ceux qui tiennent à faire partie de son film ont la parole -nombreux sont d’ailleurs ceux qui s’interrogent après avoir « tchaché » (« Mais, il parle de quoi ton film? »). De Cuba, le réalisateur aura ramené des plans superbes, tournés furieusement ou très construits, mais résultant toujours d’un regard tranchant, d’une envie de plonger sa main au plus profond de La Havane. Mais évidemment, le plaisir aveugle qu’a pris Carlos Marcovich à filmer (jusqu’à faire de lui « un ami » plus qu’un cinéaste) est à double tranchant : le réalisateur en a oublié toute éthique cinématographique. Quant, à la fin, il fait se rencontrer le père disparu de Yuliet et sa fille à la surprise totale de cette dernière, le tout sur fond de musique à l’eau de rose : on comprend qu’il est allé trop loin. Cuba mon Amour est un film aussi maladroit et ambigu qu’enthousiaste, et c’est peut-être ce qui fait sa force.
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