En sortant de Créance de sang, adaptation pépère du roman noir de Michael Connelly, on ne peut s’empêcher de comparer le nouveau Eastwood au récent The Pledge de Sean Penn, autre papy polar, autrement passionnant, autrement inventif et un peu trop passé inaperçu. Dans les deux films, on retrouve la figure du policier à la retraite, préférant ses pêcheries et son chalutier aux canailles d’antan (« j’ai assez donné »), bientôt rattrapé par une affaire qui réveille le flic qui dormait (« on ne se refait pas »). Trois similitudes encore : les ex-collègues qui n’en finissent pas de vanner le « retraité », la figure de l’enfant qui motive le retour aux affaires (façon « l’art d’être grand-père »), enfin, la Femme, jeune et mère qui donne envie d’avoir envie (façon « le sexe n’a pas d’âge »). A partir de ce canevas, que certain aiment appeler « classique », quand on peut simplement dire « balourd », Penn réalisait un film intelligent d’une grande beauté plastique : c’est qu’il traitait d’abord le vieillissement comme un mode de perception autre, entre radotage et retour à l’enfance, comme un regard à côté de la plaque (de policier bien sûr) qui finissait par contaminer et l’enquête qu’il menait, et l’esthétique du film. Le vieillissement touchait d’abord le mental, le corps suivait.
Chez Eastwood, le mouvement est inverse, ce qui donne à son polar son caractère mécanique et sans enjeu : le personnage n’est vieux que de manière organique -son cœur greffé lui impose le repos- et si la fiction raconte autour de cette greffe (c’est le sujet du film), elle exclut vite tout propos sur le caractère vieilli du personnage. En effet, dès lors qu’il est de nouveau aux affaires, l’ex-profiler Terry McCaleb ne diffère guère de son double fictionnel d’il y a trente ans, Harry Callahan : mêmes répliques qui tuent, même dégainage, même voix basse et sûre d’elle. Bien sûr, on tire moins bien qu’avant, mais on pense toujours aussi juste, on tombe les femmes comme jamais, on voit ce que les autres ne voient pas. A l’inverse de Penn qui donnait à voir à partir d’une déficience, Eastwood passe à côté de son sujet parce qu’il soigne trop son personnage. En ce sens, le film n’est pas très eastwoodien : la belle séquence où il regarde la cicatrice large qui traverse son torse est rare dans un film qui compile les preuves d’une force toujours là.
C’est que Créance de sang court un autre lièvre que ce vieillissement du genre policier qui aurait pu faire son intérêt à nos yeux : il travaille une relation entre le flic et l’assassin qui est rien moins qu’anodine : en effet, dans cette « histoire de coeur », où le flic doit sa vie au meurtrier qu’il poursuit, on lira sans trop d’imagination, une fable politique de l’Amérique de Georges Bush Jr. Que penser par exemple de cet échange très « inspecteur Harry » entre l’assassin et son profiler qui l’a débusqué ? Le premier : « Ne tire pas, tu as besoin de moi pour exister ». Le second (après réflexion) : « Non, je n’ai pas besoin de toi ». On rappellera que l’assassin était le voisin et le meilleur ami du policier et qu’ils travaillent ensemble (l’un comme chauffeur, l’autre comme enquêteur) pendant les deux tiers du film : sous cet angle politique-là, il n’est pas jusqu’au titre original du film qui ne fasse froid dans le dos : Blood Work.