D’Henry Selick, on s’était fait l’image d’une petite main appliquée et servile, d’un animateur capable d’emballer correctement un James et la Pêche géante, mais obligé d’en passer par Tim Burton pour réussir son Étrange Noël de Mr Jack. Erreur. Selick n’avait simplement pu, jusqu’alors, laisser parler ses ambitions graphiques et thématiques. Sans doute à mettre au crédit du producteur Bill Mechanic (déjà derrière Fight club et Le Nouveau monde), cette liberté nouvelle débouche sur ce film d’animation d’apparence calibrée mais d’où jaillissent d’étonnantes visions traumatiques. Coraline ou l’histoire d’une fillette qui découvre un monde caché derrière une porte de sa maison. Une version alternative de son quotidien où tout, à commencer par ses parents, paraît idéal. Si n’étaient ces flippants boutons de culotte qui servent d’yeux à tout le monde, elle s’établirait définitivement ici. On s’en doute, le rêve va virer au cauchemar.
Corpse bride piraté par Lewis Caroll ? Il y a de ça. Sauf qu’à Tim Burton et son fantastique de fête foraine, Selick oppose des images dignes de Clive Barker, Stephen King ou La Nuit du chasseur. Surtout, il dépasse l’horizon du simple décorum. Ce qui se dessine à mesure que le film avance, c’est un geste esthétique, un conte travaillé visuellement par la question du réel. La morale du film est connue, la littérature l’a souvent problématisée, qui consiste à rappeler aux enfants de se méfier des rêves, à les ramener à la réalité. Rien de bien original. Sauf que l’on ne se souvient pas de pareille illustration, d’un discours esthétique aussi cohérent sur la question (si : Ghost in the shell 2, quand même). D’ordinaire, ce genre de message découle du scénario (Burton), au mieux d’une stimulante virtuosité (Satoshi Kon). Ici c’est le double fond des images qui fait sens. Dans le scénario comme à l’écran, rien n’est ce qu’il semble, une seconde image dort systématiquement sous la première. Et c’est le numérique qui endosse le rôle de la deuxième couche. En jouant de son surgissement dans le stop-motion, Coraline s’offre ainsi quelques vertiges plastiques, comme ce plan grignoté pixel après pixel par la blancheur éclatante du digital. A l’image de son héroïne, Selick nous invite au fond à traverser le miroir, aller au-delà du reflet et des images pour déchirer le voile des illusions (jusqu’à ce finale oedipien et terrifiant qui transperce littéralement l’image).
Mais le film ouvre un 2e front. Côté réalité cette fois. Car aux avatars de l’autre côté de la porte, la réalité de Coraline ne répond qu’avec du stop-motion pur. Donc des poupées. Manière de montrer que les deux univers sont finalement bornés par les mêmes frontières (géo)graphiques, que rien ne vient jamais attester l’authenticité du modèle. Ainsi de la gamine qui finira par éprouver les frontières du fantastique, mais ne testera jamais celles de son petit monde en vase clos. Contre toute attente, la raideur désincarnée du stop-motion et son panorama de boule à neige détraquent les repères et prolongent les enjeux : le cauchemar qu’on croyait fini se poursuit dans la caverne de Platon.