En partance pour le psy, Sandrine Bonnaire se trompe de porte -attention, acte manqué- et se retrouve à déballer ses problèmes conjugaux à un conseiller fiscal (Lucchini), ahuri mais pas fichu de la détromper (parce que ça lui plait, ces confidences trop intimes ? attention, enjeu). Après les auto-tamponneuses (Felix et Lola), après les pique-niques (Rue des plaisirs), après les pantoufles (L’Homme du train), l’impayable Patrice Leconte découvre Lacan et la psychanalyse. Vrombissements cérébraux, grand moment. Chaque nouveau film de Leconte est l’occasion pour lui de faire part de sa nouvelle révélation au monde interloqué. Il y avait pourtant une réelle nécessité à le voir arpenter les territoires lacaniens. Sa petite boulimie de bons mots (dialogue ineptes tournant autour d’une réplique comme des moustiques autour d’une vessie-lanterne) le désignait pour figurer, le temps d’un thriller sentimental ronflant et bedonnant, un gentil et parfait Maître Capello des mots à double fond.
Il faut dire que la collusion avec le décryptage lacanien vaut quelques dialogues désopilants. Best of : la vigilance du voisin, le vrai psy : « J’aimerais savoir où elle habite – Tout le monde aimerait savoir où est la bite » ; les indications psychologiques sur les personnages : « J’ai la plus grosse du marché » dans la bouche d’un viril prof de sport parlant de sa voiture ; l’art délicat du lapsus : « Il y a les fantômes… – Les fantômes ? – Les fantasmes, pardon » ou des fines ambiguïtés lexicales : « quand allez-vous lui rentrez dedans (au sens figuré) ? – C’est déjà fait (au sens propre, avec une voiture) ». Mais Leconte est aussi cinéaste, c’est-à-dire quelqu’un qui fabrique du sens avec ses images. D’où sa grande audace, mettre en images ses toutes fraîches révélations. Comme il a découvert l’analogie entre la maison (avec ses couloirs, ses portes closes) et l’âme, le voilà qui filme et refilme couloirs sombres et verdâtres, étagères poussiéreuses pleines de jouet (est-ce que le héros aurait du mal à quitter l’enfance ?), appartement de vieux garçon, secrétaire (Hélène Surgère, filmée comme un vieux meuble). Et quand Lucchini emménage dans un bureau tout blanc, tout clair, c’est bon signe. Vous n’avez pas suivi ? Pas grave, il y a la bouée de sauvetage, le bon mot : « Il y a une porte fermée à clé chez vous… – Oui, c’est la chambre de mes parents – Je veux dire… dans votre tête ». Silence profond.
Dans Confidences trop intimes, Leconte, qui cadre lui-même ses films, repousse plus loin encore les limites de l’art du champ contrechamp. Des yeux ronds de Lucchini à la cigarette de Sandrine Bonnaire, quelque chose passe, peut-être un secret, un mystère, un vertige… non, rien. La caméra ne bouge pas à proprement parler, elle sursaute (s’endort-elle ? agonise-t-elle ?). Pour lui, le film n’a que Sandrine Bonnaire, Leconte ayant le chic (bravo à lui) de toujours engager une comédienne lumineuse pour presque-sauver son film du néant -voir Charlotte Gainsbourg dans le tout aussi pathétique Felix et Lola. Mais il la filme comme il lit son nouveau dico d’initiation à la psychanalyse : son cou, ses épaules, sa nouvelle robe, il joue au Pygmalion comme si sa Galatée n’avait jamais été filmée, par personne avant lui. Reste le reste : l’incroyable sens du suspens flapi du réalisateur (la fausse tension qui fait semblant de monter puis fait plop comme une bulle de savon), son petit artisanat ringard, son petit manège médiocrement classieux, assez consternant mais finalement inoffensif.