Après le trio-fleuve Heat / Révélations / Ali, Michael Mann revient à un projet plus modeste avec Collateral, polar qui se déroule en une nuit à Los Angeles. Max (Jamie Foxx), un taximan rêvant à des jours meilleurs, se retrouve embarqué dans une odyssée sanglante par Vincent, un tueur à gages qui prend son taxi en otage. A priori, Collateral fait songer à ce qu’After hours, par exemple, fut pour Scorsese : une parenthèse enchantée par où étaler sa virtuosité sans forcer, mais aussi un moyen de compresser les enjeux des films précédents sans pour autant perdre en profondeur ou en sérieux. Collateral ne cède à aucun moment à la facilité, sinon celle d’en revenir à une esthétique ultra-années 80 (plus que jamais au niveau des choix musicaux par exemple) : c’est sa force, qui transcende un projet dont on imagine aisément ce qu’il aurait pu donner dans les mains d’un faiseur ou d’un petit malin.
Oeuvre modeste pour Mann, le film n’en demeure pas moins une démonstration reléguant la concurrence aux oubliettes en quelques plans. Ouverture sublime, succession de rencontres dans le taxi, caractères saisis en quelques dialogues. La précision de la mise en scène est évidemment le point fort du film, transformant Mann en une sorte de régisseur jouant sur tous les registres possibles de son cinéma : accélérations et ralentissements du récit, amplitude (les vues aériennes) et resserrement (le taxi comme espace intime où Max puis Vincent se mettent à nu). Cette virtuosité éclatante trouve dans la structure en boucle du film une intensité à nulle autre pareille, enclenchant vitesses, régimes d’image (pellicule ou HD) et de fiction multiples. Ainsi de ce sentiment d’étrangeté qui parcourt Collateral lorsqu’il feint de s’en remettre au flottement et à l’impro planante (la scène du club de jazz) pour en revenir toujours à l’implacable logique du thriller. Il y a là un bonheur radical à filmer et à mettre en images (la visite d’un Los Angeles fantôme et méconnu) qui suffirait à faire du film un modèle d’élégance et de mise en scène.
La profondeur du récit et des personnages, constante mannienne, est l’autre aspect fort de Collateral. Aucun personnage n’est laissé de côté, du taximan empoté au névropathe incarné par Tom Cruise, en passant par la jeune avocate (Jada Pinkett Smith) dont Max tombe amoureux. Le ciselage des caractères ouvre sur un classique récit de double (Max se libère peu à peu de son taxi par l’intermédiaire d’une sorte de mauvaise conscience qui prend possession de lui). Jusque dans ses moindres détails, le film s’impose comme une leçon de mise en scène, explosant le temps de scènes hallucinantes (le meurtre des deux voyous dans la ruelle, la boîte de nuit coréenne, toute la traque finale). Pas de crainte à avoir : si Collateral est un projet sans énorme ambition pour Mann, il n’en demeure pas moins l’un des deux ou trois films les plus impressionnants de l’année.