Cloverfield, c’est d’abord un joli buzz monté à coups d’alléchants teasers et d’infos distillées au compte-goutte par JJ. Abrams (Alias, Lost), son producteur-promoteur. Rappelons le concept : présenté comme un document récupéré par l’armée après le massacre, le film raconte l’attaque de New York par une bestiole gigantesque, sur le mode amateur. Soit un remake assumé de Godzilla dont l’option réaliste est censée oxygéner le film de monstre. L’expérience vaut-elle le coup ? Oui, car tout en loupant assez nettement le chef-d’œuvre annoncé, elle tient globalement la route, et lâche quelques fulgurances à la hauteur de ce que promet l’orchestration pubarde. Matt Reeves, réalisateur télé à qui Abrahams a confié la mise en scène, s’avère un dompteur malin de l’esthétique YouTube. Dans la même image, récit et obsession du plausible se répondent, l’un ayant toujours peur de se montrer indigne de l’autre. Comme cette image à double-fond qui structure le métrage : sous l’enregistrement du chaos par le vidéaste apparaissent les bribes d’un autre enregistrement effectué un mois auparavant, celui de la belle journée d’un jeune couple (le héros du film, meilleur ami du vidéaste d’occasion). Brusque retour au live : l’amoureux, éconduit le soir même, retourne en enfer sauver son ex bloquée en centre ville. Manoeuvre qui permet au film d’y inviter une fiction très classique, une rustine dramatique autant que ludique.
Pourquoi filmer l’intime, le deuil des proches, quand notre Abraham Zapruder new age dit n’allumer sa caméra par strict souci journalistique ? Matt Reeves joue avec pertinence de ce que la vidéo est aussi performante dans la sphère nombriliste que dans l’observation clinique. Le film ne coupe pas au remake attendu du 11-Septembre, reprenant à l’identique ses « vues », comme lors de la première attaque du monstre, aperçue depuis le toit d’un immeuble. L’effet est saisissant, de loin le plus envoûtant du film, qui n’est jamais aussi efficace lorsqu’il se tient légèrement en marge de l’action ou se mêle à la foule. Témoin, la panique générale quand une gigantesque queue reptilienne déchire le pont de Brooklyn. Le principe de temps réel marche alors à plein régime entre fascination, voyeurisme et terreur pure frissonnant à même l’objectif. Dommage que Cloverfield cède par intermèdes aux lois d’un thriller qu’une autre urgence (documenter l’attaque) empêche de ciseler. Mais dans l’ensemble il demeure trop séduisant – et brillant – pour qu’on se laisse grignoter par ses imperfections.