Présenté cette année à la Semaine de la critique cannoise, le dernier film de Robert Kramer nous parvient aujourd’hui à titre posthume puisque le metteur en scène est décédé en décembre 1999. Cités de la plaine permet de mesurer encore -si besoin était- l’ampleur que cette perte représente pour le cinéma français. Par ses choix narratifs, esthétiques, ses partis pris visuels et sonores, l’œuvre témoigne à merveille de l’exigence de recherche d’un des auteurs les plus intègres de notre paysage cinématographique. A l’heure où le cinéma a tendance à disparaître des films, chaque plan de Cités de la plaine rappelle le spectateur au sens du cadre, à la signification de l’image, à la responsabilité du langage.
A Roubaix, le parcours de Ben, un homme aveugle et démuni, se déroule suivant l’écheveau complexe d’un récit dans lequel les flashes-back s’imbriquent avec une intelligence rare. Robert Kramer joue avec le temps de manière exemplaire, déplaçant ainsi les perspectives, éclaircissant progressivement les zones d’ombre et les doutes que son incipit se plaît à mettre en place. Il y a dans ce regard un quelque chose d’essentiel et d’assez indéfinissable qui se situe du côté des enjeux filmiques propres au réalisateur : une rigueur, une conscience, un engagement de cinéma que ses films n’ont cessé d’aiguiser depuis trente-cinq ans. Nourri par le documentaire, par l’exil, Robert Kramer est parvenu à une maturité où le refus de toute concession côtoie l’affirmation d’une plastique accomplie. Il est amusant de constater que Kramer est l’anagramme de Marker et que Robert K. et Chris M. se rejoignent dans ces allers-retours du documentaire et de la fiction qui les caractérisent et passent aussi par l’alternance des formats et supports utilisés (court/long, vidéo/pellicule). Ici, tout reflète une expérience non conventionnelle de l’image, une morale de la représentation dramatique qui s’appuie autant sur le découpage que sur la direction des acteurs non acteurs. L’émotion naît de cette exigence précise et accompagne le spectateur bien après la vision de ces Cités de la plaine qui possèdent l’évidente grandeur des films indispensables.