George Bernier, sa vie, son oeuvre ? Non, c’est autre chose. Choron dernière s’y essaie bien, un temps, égraine quelques interviews, déploie son lot d’archives, bricole un vague portrait mais, en tant que tel, c’est une catastrophe. Ou un style, c’est au choix : la patte Pierre Carles (ici associé à Eric Martin), dont les films-tracts semblent promis à un horizon de plus en plus embryonnaire et tire-au-flanc, une soupe d’intentions vagues et autistes grimée en mobile libertaire, et qui se fout du rythme, de la construction, de la mise en perspective, comme de son premier poncho. Et pourtant, Choron dernière touche quelque chose, intéresse. Une piste : Choron était foutraque, le portrait est beau parce qu’il est sans forme, il se cale sur le rythme de l’idole. C’est tentant mais non, sauver le film pour un pareil motif serait un peu court, et con. C’est plutôt que Carles et Martin visent autre chose, une espèce de portrait en creux de la grandeur de Choron par la petitesse de son entourage, puis de sa descendance.
Rappelons la situation : fondateur avec Cavanna et vraie tête pensante d’Hara-Kiri, puis Charlie Hebdo, Bernier se voit dégagé sans ménagement au moment où Charlie reparaît dans les 90’s, sous l’impulsion du chansonnier Philippe Val – Bernier tente d’empêcher l’utilisation du titre, se voit débouté. Rappelant ça, le doc se trouve un autre sujet, renvoyant le portrait de Choron aux calendes : l’impayable veulerie de Val, piégé en interview comme en leur temps les victimes de Pas vu, pas pris. Il faut le voir, fier comme un pape, monter les marches en smok (cette année, pour le doc C’est dur d’être aimé par des cons), ou s’engluer dans un exercice de rhétorique pathétique pour contourner une question sur Choron, c’est à se tordre. Une fois le tir armé, Choron dernière ne démord plus, n’enregistre plus que l’obscène fatuité du Brutus qui a confisqué l’héritage, l’exercice culminant quand Val explique, secondé par Wolinski (épinglé en Judas avec d’autres rescapés de l’époque Hara-Kiri), que, certes, Choron, était rigolo, mais qu’il faisait un piètre gestionnaire.
Aux deux tiers, se rompt le fil du procès, auquel on noue un étrange appendice : Choron, filmé dans ses dernières années, de retour dans son village natal, en vue probablement du portrait que, justement, Choron dernière n’est pas. Choron qui montre son école, retrouve d’anciens camarades, Choron qui taquine une vieille copine qui fait la gueule parce qu’on la filme avec ses bigoudis. C’est un beau moment, flottant, un peu triste. Choron était un génie comique (il faut, pour s’en convaincre, feuilleter l’anthologie des « belles images » d’Hara-Kiri parue récemment chez Hoëbek), mais dans la vie, quelqu’un d’un peu pathétique, lesté, à le voir déambuler ici, par une profonde mélancolie. Après le constat d’échec (l’éden de la presse anar souillé par des petits patrons se rêvant en intellectuels), le raccrochage de ces ultimes séquences, hors du temps, fait un drôle d’effet : on dirait que c’est le fantôme de Choron qui, dépité, prend la tangente, et, rentré au bercail, redevenu Bernier, soupire qu’en effet, il est bien dur d’avoir été aimé par des cons.