Qui voilà ? L’ami du petit-déjeuner. Manuel Poirier, c’est le cinéaste tartine et confiture : confidences des petits matins, tout le monde en pyjama, il y a de l’amour à partager et des biscottes à beurrer. De « l’amour partagé », c’est justement la dédicace de ces Chemins de traverses, et ce n’est pas bon signe. Comment la scène du petit-déjeuner est-elle devenu le passage obligé, canonique d’un cinéaste en perdition ? (en perdition car autrefois, du temps de A la campagne et Marion, il fut autrement plus inspiré). Il faut se souvenir du précédent film, Les Femmes… ou les enfants d’abord…, et de son état d’esprit Familles de France : accouplement entre portrait de voisinage (les voisins, les amis, une France pavillonnaire ma foi bien sympathique) et révolte outrée de militants parents d’élèves (luttons contre l’absence de sièges bébés dans les restaurants). Poursuivant sur la même pente molle (renoncement total à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une prise de risque un tant soit peu ambitieuse), Chemins de traverses donne à voir l’amour d’un père et de son fils : Victor, veuf, père d’un adolescent, sillonne la Bretagne, un jour apprenti agent artistique de Roselyne, une Piaf-pouf de kermesse, un autre brocanteur victime d’un receleur. C’est, nous dit Poirier, l’apprentissage de la vie, et il n’y a sans doute rien de plus vrai -tout comme à la fin de Les Femmes… le réalisateur venait lui-même, accoutré en pilier de comptoir, livrer clés en main le message fédérateur tant attendu : « les amis, c’est bien, la famille aussi » (merci pour l’info).
On voit bien comment le film prépare sa défense, en enfonçant les portes grandes ouvertes d’une sentimentalité intouchable. Ce qu’il faut stigmatiser, par-delà ce droit à l’inoffensivité, c’est la médiocrité du dispositif, la mise en scène, recroquevillée en petite chose gentille, son humilité affichée comme garantie sanitaire. Il n’y a pas grand-chose à voir ici, sinon cette complaisance dans l’insipide et le creux, un film entier pour voir le fiston embrasser son papa en lui susurrant à l’oreille des « je t’aime » pleins d’amour, dans une étreinte à laquelle ni l’un ni l’autre visiblement ne croit. La scène du petit-déjeuner, donc : il y en a un paquet ici, c’est presque une performance, et pourtant difficile de les distinguer tant elles sont paresseuses avec leur quotidienneté forcenée. A travers elles perce seulement la rengaine peinarde d’un cinéma en retard sur tout plus que flâneur, résigné peut-être à son état lymphatique, fier en tout cas de sa proximité avec ses demis portions de personnages. (voyez, je suis avec vous, même au petit-déjeuner).