Les premiers bafouillements de caméscope d’Isild Le Besco ne valaient pas le coût de son titre (ça s’appelait Demi-tarif), mais avaient été accueillis avec une large, voire curieuse bienveillance. Ce succès pistonné par un réseau de parrainages familio-artistico-mondains n’était rien en regard de la furie de superlatifs qui recouvre ce Charly. Rien d’étonnant à cela, les parrainages n’étant point caduques, mais tout de même, au moins Demi-tarif était regardable. A lire Libé sur le film, en payant votre billet, vous aurez sous les yeux un mix de Eisenstein, Godard, Welles et Ozu, à peu de choses près et en mieux. Qu’on nous permette d’en douter. Et de penser à l’inverse que Charly est un film particulièrement mauvais. Où la nouvelle petite princesse du cinéma français va faire un tour chez les pauvres, avec armes (un caméscope gravement instable) et bagages (ses frères, l’un devant la caméra, l’autre derrière, ou à côté, enfin pas loin vu qu’elle bouge tout le temps). C’est formidable les pauvres, plein d’histoires et plein de plans à faire avec eux.
Au début du film, on découvre un ado pataud et mou comme une chique (Kolia Litscher, frérot d’Isild) vivant chez un couple de petits vieux dans un trou paumé. Il s’enfuit une nuit, habillé comme d’habitude, écrase-merdes sans lacets et culotte de jogging qui peluche. Dans la poche, un livre que son prof a oublié sur une table de bistrot, et une carte postale qui y servait de marque-pages. Sur la carte, Belle-Ile. Nicolas prend donc le chemin de l’île belle, mais en chemin, il croise Charly (ah, tout de même), jeune pute aux allures de sous-Rosetta discount, vivotant dans une caravane dont la propreté l’obsède. Charly recueille Nicolas, comme ça, histoire de faire un film. Et nous voilà enfermé dans la caravane, pour quasiment n’en plus jamais sortir – bonjour la claustro.
Là encore, la rafale d’éloges recueillie par Julie-Marie Parmentier pour son interprétation de Charly dépasse l’entendement. Partout l’on célèbre son énergie, son jeu rentre-dedans tout en puissance et stridence. L’actrice, donc, est for-mi-dable, « elle ne joue pas Charly, elle l’est », ce genre de sornettes. C’est pas pour faire le rabat-joie, mais non. Son personnage d’hystérique du ménage et du gant mappa, d’avance insupportable et pas crédible pour un sou, est sur-écrit, malaxé et tordu comme une serpillière. Rien à voir avec le monstre de spontanéité et de vie qu’on nous vend. Et Parmentier n’a plus qu’à se glisser en elle, avec les tics de langage qu’elle a appris studieusement, comme on glisse ses mains dans des gants de vaisselles, précisément. Aux piaillements de Charly (« fait la vaisselle, lave la casserole, balaie comme ci, essuie comme ça… ») répondent les « chépa » marmonnés par Nicolas, et ce, pendant, allez, la moitié du film. C’est, comment dire : un poil chiant. Et franchement sans intérêt.
Après en être passé par l’inévitable séance drôle / émouvante de la lecture du livre à deux (L’Eveil du printemps, une pièce de Franck Wedekind, sous-titrée – oh ! comme ça tombe bien – « tragédie enfantine »), Le Besco barbote dans cette mare d’ennui et d’insignifiance jusqu’à la fin du film, où elle dégaine sa scène à choquer le bourgeois, histoire qu’il transpire d’aise devant tant de subversion, et ne soit pas venu pour rien. Charly vient baiser d’un coup Nico, voilà, on voit sa bite, wouah, c’est du cinéma libre, et puis après Nico s’en va voir la mer, sur du Ravel. Là, c’est la fin du film, et heureusement, car il commençait à sentir sérieusement mauvais.
Un mot quand même sur la pouilleuse mise en scène : Le Besco et son frère filment certes comme on éponge une toile cirée, avec des mappa, mais surtout ils filment « à l’arrache », genre rien à foutre des conventions, des faux raccords, des recadrages de ouf. Ce « alarache » nous rappelle étrangement certains films français, heureusement oubliés depuis, qui fleurissaient à l’époque où les premières caméras DV permettaient de faire un long métrage. Même urgence bidon, même âpreté de pacotille, même spontanéité fabriquée et poseuse, même côté « ouh là, je filme la vie, là ». C’est dire si Charly a un train de retard. Mais bon, Le Besco est adoubée pour les siècles des siècles, donc on s’incline. Non sans penser que la Le Besco’s touch n’est pas fébrilité, ou radicale indépendance, mais petit calcul. Innocent, certes, et très naïf (après tout la réalisatrice est très jeune), mais assez repoussant. Comme tout le film, dont l’aspect farouche, vénéré ici et là, n’est qu’impolitesse de parvenue.