Présenté à Cannes, récompensé par le prix spécial du jury, Chansons du deuxième étage s’est déjà forgé une réputation. Roy Andersson revient au long métrage après vingt-cinq années de pub et de clip, durant lesquelles il a eu le temps de développer ses idées en toute liberté, dans les locaux de son propre studio à Stockholm. Etrange film, tourné de manière épisodique, pendant quatre années, sans scénario ni plan de travail. Il est difficile de donner une idée de l’univers idiosyncrasique de Roy Andersson. Un mélange d’humour viking (façon pub Stimorol) et d’expressionnisme. Luc Besson avait peut-être vu juste en parlant de ce film comme d’une obscure synthèse entre Jérôme Bosch et Jacques Tati. Du premier, le style mordant et les visions apocalyptiques, et de l’autre une évidence vaguement surréaliste.
Ainsi, Chansons du deuxième étage se présente comme une longue suite de séquences situées dans une ville en trompe-l’œil, paralysée par la circulation. On assiste à un tour de magie raté, à l’agression d’un immigré en pleine rue, au discours nazi d’un général centenaire. Un personnage prend forme : Karl, un entrepreneur ruiné, qui a lui-même mis le feu à son entreprise. On le suit dans ses pérégrinations. Silhouette obèse, imper mité, il porte sa croix (il vient de se lancer dans un business de crucifix) en homme modeste et ordinaire. Il déambule sur le quai d’une gare. Là, lui viennent d’étranges visions (à l’hôpital, son fils dépressif est prostré). Avec d’autres, il est le témoin et l’acteur d’un drame qui lui échappe, trop préoccupé par sa propre situation.
Chansons du deuxième étage décrit une mort lente et collective, dont chaque événement est un symptôme, et chaque séquence un nouvel accomplissement. Ces tableaux vivants et réfrigérés, à la composition souvent impressionnante, demeurent des situations purement formelles. Ils composent un bel ensemble, davantage porté par un sentiment que par un discours. C’est la beauté du film, mais peut-être aussi sa limite.